Sommes-nous « trop propres » pour combattre la COVID-19?

9 mai 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Concept de désinfection en gros plan Photo gratuit

Q : « À force de se laver les mains pour tuer le virus de la COVID-19, on élimine le virus, mais on aussi d’autres virus et bactéries. Or certaines de ces bactéries (et virus) nous sont utiles et même nécessaires. Alors est-ce que ces lavages de mains répétés risquent de “trop” nous aseptiser et d’affaiblir notre système immunitaire, ou est-ce qu’on demeure quand même en contact avec suffisamment de microbes pour maintenir un équilibre? » demande Carl Audet, de Sainte-Marie. Pour sa part, Denise Archambault, de l’Outaouais, aimerait savoir si « le fait d’utiliser des produits antibactériens (par exemple Lysol) à outrance peut jouer un rôle dans la propagation du virus? Est-ce que cela affaiblit notre système immunitaire? ».

R : « Je dois dire qu’il y a vraiment beaucoup de facteurs qui peuvent affecter le système immunitaire, ne serait-ce par exemple que le stress et le manque de sommeil. On peut donc croire que les désinfectants puissent également affecter le système immunitaire, mais aucun article de valeur ne le mentionne directement », indique d’emblée Amir Hossein Momen, post-doctorant en immunologie à l’UQAC.

L’alcool éthylique, qui est à la fois celui que l’on boit et celui qui se retrouve dans les désinfectants à mains, est connu pour nuire à la réponse immunitaire lorsque consommé à fortes doses. Mais il est loin d’être clair qu’une consommation modérée est nuisible, et certaines études suggèrent même que cela pourrait améliorer l’immunité, alors il est permis de penser que les quantités infinitésimales que nous ingérons en nous désinfectant les mains n’empêchent pas le corps de combattre le coronavirus.

Mais dans l’ensemble, les désinfectants ne semblent pas interférer de manière notable avec le système immunitaire — en tout cas, pas assez pour annuler les bienfaits de l’hygiène. Une méta-analyse (soit un article qui met en commun les résultats de plusieurs études sur une même question) de la prestigieuse Collaboration Cochrane et mise à jour le mois dernier a trouvé que l’usage des désinfectants à main de type Purell réduit l’absentéisme chez les enfants de 2 à 18 ans. Les enfants qui s’en servent manquent en moyenne 33 jours d’école ou de garderie sur 1000 à cause d’infections respiratoires, contre 42 pour ceux qui ne se désinfectent pas régulièrement les mains. Pour les maladies gastro-intestinales, l’écart était de deux jours (6 contre 8 par 1000) en faveur des désinfectants. Notons cependant que la qualité des études de cette méta-analyse est qualifiée de « faible à très faible » par le groupe Cochrane, alors il faut considérer cet « effet protecteur » avec prudence. Mais il n’y a vraiment rien là-dedans qui permette de croire que l’usage régulier de désinfectants empêche le corps de se défendre contre les microbes.

Maintenant, ce à quoi Carl Audet fait allusion dans sa question n’est sans doute pas une interférence directe des Purell, Javel et compagnie avec le système immunitaire, mais plutôt ce qui est nommé en science médicale l’« hypothèse de l’hygiène ». Cette hypothèse, d’abord formulée à la fin des années 1980, avance que la forte progression de maladies auto-immunes et d’autres dérèglements du système immunitaire comme l’asthme et les allergies dans la deuxième moitié du XXe siècle pourrait s’expliquer par une « trop grande hygiène ». Nous vivons dans un monde où les microbes sont absolument omniprésents et, pendant des centaines de milliers d’années, les enfants humains ont grandi dans des conditions beaucoup moins « propres » que celles qui prévalent dans nos maisons modernes. Alors pour bien se développer, notre système immunitaire aurait besoin, pendant l’enfance, d’être exposé à toutes sortes de microbes — pas seulement des pathogènes, mais aussi des « neutres » et des bactéries bénéfiques. Sans une exposition suffisante, veut cette théorie, le système immunitaire n’apprend pas bien à reconnaître ses ennemis et peut se mettre à attaquer des parties de l’organisme plutôt que des infections : ce sont les maladies auto-immunes.

Sans être parfaite, l’hypothèse de l’hygiène a certainement ses mérites et a inspiré énormément de recherches depuis 30 ans, mais il faut bien comprendre qu’elle ne concerne que les maladies auto-immunes (et encore, pas toutes). Le dérèglement du système immunitaire le fait réagir à des choses anodines comme si c’étaient des menaces, mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas capable de se défendre contre de vrais virus.

J’ai trouvé une seule étude qui suggérait un lien entre l’usage régulier de javellisant et des infections plus fréquentes, mais elle avait de grosses limitations et n’a pas semblé convaincre grand-monde dans la communauté scientifique. Alors jusqu’à preuve du contraire, l’hypothèse de l’hygiène ne s’applique qu’aux maladies auto-immunes (et encore, pas toutes), et pas du tout aux pathogènes.

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Précision : une version antérieure de ce texte a été modifiée pour ne plus laisser entendre que l’asthme est une « maladie autoimmune » alors que ce n’est pas, techniquement, vraiment le cas. Mes excuses.

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