Amendes : de quel droit?

10 mai 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Q : « J’ai une question sur le côté juridique des règles de confinement. Sur les constats d’infraction, à quelle loi ou règlements font référence les policiers, sur quels textes l’appareil judiciaire devra se référer pour rendre des décisions en cas de contestation? Peut-on retrouver ces règles de confinement dans la Gazette officielle du Québec ou énoncées de façon vulgarisée dans un communiqué du gouvernement? », demande Caroll Roberge, de Lévis.

R : C’est effectivement une chose assez intriguante que celle-là : s’il n’y a pas de loi qui interdise par exemple d’aller prendre un verre entre amis ou qui oblige à se tenir à 2 mètres d’autrui (et non, il n’y a jamais eu de telle loi), en vertu de quoi les policiers peuvent-ils distribuer des amendes? « La base légale, ce sont les décrets adoptés par le gouvernement [ndlr : l’exécutif, soit grosso modo le conseil des ministres]. Il y a un état d’urgence sanitaire qui a été déclaré en mars, et cela permet à l’exécutif d’adopter ces décrets sans passer par l’Assemblée nationale », dit le juriste de l’Université Laval Louis-Philippe Lampron.

Cet état d’urgence est prévu dans la Loi sur la santé publique, dans ses articles 118 à 130. Le 118 stipule que « le gouvernement peut déclarer un état d’urgence sanitaire dans tout ou partie du territoire québécois lorsqu’une menace grave à la santé de la population, réelle ou imminente, exige l’application immédiate de certaines mesures prévues à l’article 123 pour protéger la santé de la population ». Et l’article 123 octroie au gouvernement une série de pouvoirs exceptionnels, comme ceux-ci :

  • « ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre la variole ou contre une autre maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population »;
  • « ordonner la fermeture des établissements d’enseignement ou de tout autre lieu de rassemblement »;
  • « interdire l’accès à tout ou partie du territoire concerné »
  • « faire les dépenses et conclure les contrats qu’il juge nécessaires »;
  • ainsi que celui-ci, dont la portée est très large : « ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population ».

On trouve dans les autres articles certaines limites à ces pouvoirs, comme une limite à la durée de l’état d’urgence sanitaire (10 jours, mais c’est renouvelable autant de fois que l’exécutif le désire) et l’obligation de présenter un rapport à l’Assemblée nationale dans les trois mois suivant la fin de l’état d’urgence. M. Lampron estime toutefois que ces limites sont faibles et devraient être resserrées. Notons à cet égard qu’au fédéral, la Loi sur les mesures d’urgence oblige l’exécutif à obtenir l’approbation du Parlement pour proclamer ou renouveler l’état d’urgence, notamment dans ses articles 58 à 60.

En ce qui concerne les pouvoirs étendus des policiers, ils découlent également de décrets, puisque comme pour les autres lois et règlements, il faut bien qu’il y ait des gens sur le terrain qui les fassent appliquer. Cela soulève toutefois des questions difficiles, indique M. Lampron. « C’est une chose de passer des décrets, c’en est une autre de savoir comment on va permettre aux policiers de les faire respecter. J’ai l’impression qu’on va voir des contestations quand les tribunaux vont recommencer à fonctionner parce que les décrets ne donnent pas tous les droits aux policiers. Il y en a peut-être qui sont allés trop loin », dit-il.

Ces décrets, souligne également le juriste, ne suspendent pas les chartes des droits et libertés, qui continuent de s’appliquer, si bien que toutes les amendes sont en principe contestables devant les tribunaux. Mentionnons à cet égard, d’ailleurs, que les décrets qui prolongent l’état d’urgence sanitaire à tous les 10 jours prévoient eux-mêmes cette possibilité, stipulant que « le délai prévu à l’article 150 de la Loi sur la police (chapitre P-13.1) pour porter une plainte en matière de déontologie policière est suspendu jusqu’à l’expiration de la période de la déclaration d’état d’urgence sanitaire ».

M. Lampron suggère à ceux qui ont reçu une amende et qui songent à la contester de prendre autant de notes que possible sur ce qui s’est passé. Cela pourra éventuellement servir devant les tribunaux.

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