Désinfectants : pas de résistance en vue

13 mai 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Infirmière en gros plan désinfectant la poignée de porte Photo gratuit

Q : « Si la surutilisation des antibiotiques peut mener à l’apparition d’une résistance chez les bactéries, est-ce que l’usage maintenant généralisé et systématique de désinfectants divers, tuant « 99,9 % des germes » comme disent les pubs, ne pourrait pas mener à des virus et des bactéries plus difficiles à tuer? », demande Patrick Bourgeois, de Montréal.

R : Pour les virus, non, c’est invraisemblable, mais c’est une possibilité chez les bactéries, même si cela reste assez théorique à l’heure actuelle, indique Marc Ouellette, chercheur en infectiologie à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche en résistance aux antimicrobiens.

C’est un problème qui est discuté en recherche et il a été démontré en laboratoire que les bactéries sont capables, dans certaines circonstances, de développer une résistance aux désinfectants. « Mais ce n’est pas un problème pour l’instant et l’utilisation de désinfectant pour se protéger du virus sauve des vies », dit-il. Nombre d’études ont en effet démontré que l’usage régulier de désinfectant réduit encore et toujours les infections, que ce soit en milieu hospitalier ou ailleurs. Cela ne serait pas le cas, ou de moins en moins, si cela engendrait une résistance forte et fréquente chez les bactéries.

Mais en ce qui concerne les virus, incluant celui de la COVID-19, poursuit M. Ouellette, l’idée d’une résistance aux javellisants, Purell et compagnie est « très très peu, immensément peu probable ».

« Les virus sont de très petits êtres avec très peu de gènes [ndlr : les gènes sont des « recettes » de protéines, de l’information qui sert à assembler des protéines]. Les seuls moments où un virus va développer une résistance, c’est quand un médicament va cibler spécifiquement une protéine dans le virus lui-même », dit-il.

En un mot comme en cent, avoir peu de gènes signifie que les virus ont peu de manières différentes d’évoluer pour devenir tolérants aux désinfectants. Par comparaison, le génome des bactéries est très grand : au lieu d’avoir seulement quelques gènes (ou quelques dizaines de gènes pour les virus les plus complexes), les bactéries en ont typiquement plusieurs milliers. Ce qui donne plus de « portes » différentes par lesquelles une mutation bénéfique peut faire son apparition.

« Par exemple, illustre M. Ouellette, une bactérie peut avoir un gène qui pompe le désinfectant hors de la bactérie, c’est souvent ce qui arrive, ou ça peut être d’autres mécanismes (…) On peut imaginer une mutation qui changerait les lipides de sa membrane (ndlr : la « peau » de la bactérie) et les rendrait moins sensibles à ça. » Il s’agit d’exemples imaginaires, précise le chercheur, mais cela donne une idée du genre de mécanismes dont on parle ici.

En outre, les bactéries sont connues pour s’échanger des gènes entre elles, et donc se transmettre des résistances les unes aux autres. Les virus, eux, sont incapables de faire tout cela.

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