29 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil
R : Le 9 avril dernier, le directeur parlementaire du budget a publié des prévisions au sujet de l’effet que la COVID-19 aura sur les finances publiques au fédéral. Verdict : un déficit historique de 184 milliards $ — et, depuis, il a été question de dépasser le cap des 200 milliards. Par comparaison, le déficit fédéral de l’an dernier (qui était déjà dénoncé par l’opposition et divers observateurs) n’était que de 27 milliards $.
Au Québec, on anticipait un déficit provincial d’environ 12 milliards $ à la mi-avril. Mais l’effet final que la crise actuelle aura sur les finances publiques n’est pas encore clair ni arrêté, soulignons-le.
En général, quand un gouvernement veut ou doit faire un déficit, il contracte une dette en empruntant de l’argent à de grandes institutions financières ou en émettant des obligations pour le public. Mais ce n’est pas tout à fait de cette façon que cela se passe présentement.
« Il y a beaucoup d’incertitude sur les marchés financiers en ce moment, alors les gouvernements, provinciaux surtout, n’arrivaient pas à vendre leurs obligations à des conditions acceptables, explique Stephen Gordon, professeur d’économie et spécialiste des politiques monétaires à l’Université Laval. […À cause de cela], on est en train d’imprimer de l’argent, littéralement : c’est la Banque du Canada qui crée de l’argent pour acheter une bonne partie des obligations du fédéral et des provinces. »
Cela ne signifie pas que les gouvernements ne devront pas rembourser cet argent, puisque « les activités de la Banque du Canada ne sont pas incluses dans le budget du gouvernement fédéral », nuance M. Gordon. La dette publique va donc augmenter à tous les paliers de gouvernement, mais les emprunts n’auront pas la même provenance que d’habitude. Et c’est principalement le fédéral qui sera touché parce que c’est lui qui assume les principales dépenses dans cette crise.
« Il est à noter que la Banque du Canada achète et vend des obligations canadiennes régulièrement au cours de ses activités normales. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur des achats et le fait que la Banque a aussi commencé à acheter des obligations provinciales », précise M. Gordon.
Les risques qu’il y a à injecter de l’argent dans l’économie sont essentiellement les mêmes que d’habitude. « Il y a bien sûr l’inflation, dit l’économiste, mais on est assez loin de ce genre de problème à ce moment-ci. Tout tourne au ralenti, les taux d’intérêts sont encore bas… Alors au moins à moyen terme, il n’y a pas grand danger à utiliser la Banque du Canada comme financement, même si on ne pourra pas continuer comme ça indéfiniment. »
Cette question d’inflation explique aussi en partie pourquoi on ne peut pas vraiment « remettre les compteurs à zéro », pour reprendre les mots de notre lecteur. « En théorie, dit M. Gordon, rien n’empêche la Banque du Canada d’acheter toute la dette [publique] puisqu’elle a le pouvoir légal de créer de l’argent pour acheter toutes les obligations sur le marché. Mais le risque est l’inflation que cette expansion monétaire pourrait générer. »
Et c’est sans compter le fait que suivant la « faillite » d’un gouvernement, les prêteurs ne voudraient plus acheter ses obligations, ou alors seulement à de forts taux d’intérêts parce que ce gouvernement serait alors considéré comme un emprunteur à haut risque. En bout de ligne, la « faillite » n’est donc pas une bonne solution.
L’autre inconvénient est l’accroissement de la dette publique et, surtout, un service de la dette qui coûtera plus cher. Mais à cet égard non plus, la situation n’est pas vraiment inquiétante pour le moment, dit M. Gordon. La dette fédérale représentait environ 31 % du PIB canadien l’an dernier, et les mesures de crise feront gonfler ce ratio à 41 %, prévoit le directeur parlementaire du budget. « Ce n’est pas une bonne nouvelle, ce n’est pas rien, mais on a déjà vu pire au Canada et on voit encore pire ailleurs dans le monde », remarque-t-il.
Certains pays très endettés comme le Japon et l’Italie ont des ratios dette : PIB de plus de 100 %, et la moyenne du G7 tournait autour de 85 % en 2018. Et au Canada, il approchait des 70 % au début des années 1990. Alors retourner à environ 40 % ne sera pas dramatique, même si c’est loin d’être idéal.
« On parle d’une crise passagère. Ces nouvelles dépenses-là, on n’est pas obligé de les maintenir pour toujours. […] Évidemment, une fois la crise passée, ça va prendre une certaine rigueur budgétaire, mais je vois ça comme un problème maîtrisable», dit M. Gordon.
La COVID-19 suscite énormément de questions. Afin de répondre au plus grand nombre, des journalistes scientifiques ont décidé d’unir leurs forces. Les médias membres de la Coopérative nationale de l’information indépendante (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est), Québec Science et le Centre Déclics’associent pour répondre à vos questions. Vous en avez? Écrivez-nous. Ce projet est réalisé grâce à une contribution du Scientifique en chef du Québec, qui vous invite à le suivre sur Facebook, Twitter et Instagram et du Laboratoire de journalisme de Facebook. Avec le soutien du Réseau de l’Université du Québec et des Fonds de recherche du Québec. |