Est-ce la faute aux CHSLD?

6 mai 2020
Valérie Borde, Le Soleil

Gros plan des mains de soutien

Q : « Au Québec, la majorité des décès sont dans les CHSLD ou des résidences où les personnes âgées sont rassemblées. En Italie et en Espagne, on dit aussi que ce sont une majorité de personnes âgées qui sont mortes. Cette fois, la raison invoquée, c’est que ces personnes sont très présentes dans le quotidien de leurs enfants et leurs petits-enfants. Est-ce que les gens meurent à cause du lieu où ils habitent ou en raison de leur âge et des problèmes de santé qui en découlent? », demande Chantal Fily, de Québec.

R : Sur les 2398 décès causés par la COVID-19 enregistrés au Québec en date du 4 mai, 1519 – soit presque les deux tiers – sont survenus dans des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Les Ressources intermédiaires (RI) ont enregistré 55 décès et les Résidences privées pour ainés (RPA) 395.

CHSLD, RI et RPA sont les trois grands types d’établissements collectifs où vivent des ainés au Québec. Des soins et services y sont offerts aux personnes qui ne sont plus capables de s’occuper seules d’elles-mêmes, que ce soit à cause de limitations physiques ou de troubles cognitifs. Mais d’un bout à l’autre du spectre, il y a d’énormes différences dans le degré de perte d’autonomie et l’état de santé des résidents! La plupart des personnes vivant dans les RPA ont besoin de peu ou pas de soutien, même si la plupart des résidences hébergent aussi un petit nombre de personnes ayant des pertes d’autonomie sévères. Les résidents des RI ont généralement une perte d’autonomie modérée, alors que dans les CHSLD, plus de 80 % des résidents ont une perte d’autonomie sévère impliquant une lourde prise en charge.

Les RPA comptent environ 130 000 chambres, studios ou appartements de une à deux chambres. Environ 16 000 personnes logent dans des RI, et 40 000 personnes dans les CHSLD.  Il y a aussi 15 000 personnes souffrant de pertes d’autonomie sévères qui vivent chez elles.

Parmi tous ces hébergements collectifs, c’est donc dans les CHSLD que le taux de décès par la COVID-19 est le plus élevé, et de très loin, avec un taux de mortalité de près de 4 %. En comparaison, parmi plus de 8,2 millions de Québécois vivant chez eux, l’INSPQ a enregistré « seulement » 244 décès.

Selon Philippe Voyer, professeur en soins infirmiers à l’Université Laval et spécialiste de l’hébergement des personnes âgées, la mortalité est beaucoup plus influencée par l’âge et l’état de santé que par le type de résidence. Même si les comparaisons internationales sur le nombre de décès sont toujours hasardeuses, les études sur le profil clinique des personnes décédées à l’hôpital montrent invariablement les mêmes facteurs de risque : un âge avancé et des maladies sous-jacentes.

Mais il est clair que la clientèle des CHSLD, au-delà de son état de santé qui la rend très vulnérable, a aussi souffert des pénuries et de la rotation du personnel et de la vétusté de certains établissements, des facteurs qui ont fait en sorte que le virus s’y est propagé facilement, croit le chercheur. Ces problèmes grèvent déjà la qualité de vie des résidents en temps normal : « dans une enquête réalisée en 2015-2017, seuls 17,6 % des CHSLD publics offraient une qualité de vie considérée comme adéquate », rappelle Philippe Voyer. On ne sait pas, parmi les décès à domicile enregistrés au Québec, combien concernent des personnes dont l’état de santé était similaire à celui des résidents des CHSLD.

Dans plusieurs pays, les hébergements pour personnes âgées dépendantes ont connu des taux de mortalité dramatiques : en Espagne, par exemple, plus de 16 000 décès ont été enregistrés dans ces centres et le taux de mortalité y atteindrait 10 % dans la région de Madrid. Les comparaisons internationales sont cependant très boiteuses, car la manière de comptabiliser les décès dus à la COVID-19 change beaucoup d’un endroit à un autre. Plusieurs pays commencent seulement à comptabiliser les morts hors des hôpitaux!

Au début de la crise, on a beaucoup entendu que les personnes âgées avaient été très touchées en Italie parce qu’elles vivent plus près de leurs enfants et petits-enfants. Effectivement, l’hébergement en institution est moins répandu en Italie qu’au Canada. Selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), on compte 18 lits dans des résidences de soins de longue durée par 1000 habitants de plus de 65 ans en Italie, contre 55 au Canada. L’Italie est pourtant un des pays qui compte le plus de personnes âgées en proportion de sa population : les 80 ans et plus représentent 7,3 % de la population en Italie, contre 4,4 % au Canada. Bien des personnes en perte d’autonomie y sont laissées à la charge de leur famille, avec un soutien assez faible aux soins à domicile.

Au Canada comme en Italie, l’État finance peu ces soins qui permettent pourtant aux personnes en perte d’autonomie de rester plus longtemps chez elles : toujours selon l’OCDE, seulement 11 % des dépenses gouvernementales pour les soins de longue durée vont aux soins à domicile au Canada, 19 % en Italie… mais 81 % en Finlande en en Pologne et 66 % au Danemark! Ce déséquilibre est dénoncé depuis des décennies, notamment par Réjean Hébert, gériatre et ancien ministre de la santé dont le projet d’assurance autonomie est mort au feuilleton en 2014.

Pour Philippe Voyer, il y a effectivement urgence à faire un grand ménage dans les soins de longue durée, surtout que la population vieillit. « Mais cela n’aurait aucun sens de réformer juste les CHSLD, c’est un peu comme si dans une réforme de l’enseignement on décidait de s’attaquer juste à la 6e année du primaire! », explique-t-il. « Ce qu’il faut, c’est repenser l’écosystème dans son ensemble, incluant les volets d’économie sociale et les organismes communautaires, mais surtout pas faire du rapiéçage au gré des catastrophes. » Le chercheur rappelle que l’obligation d’installer des gicleurs dans les résidences pour ainés suite à l’incendie survenu à L’Isle-Verte a résulté en la fermeture de 430 établissements en quatre ans, pour des raisons financières. Une bien mauvaise décision!

« Il faut aussi sortir de la vision très hospitalière des soins de longue durée et s’inspirer de ce qui se fait de mieux ailleurs », insiste Philippe Voyer. Dans les années passées, le spécialiste a visité d’innombrables résidences de soins de longue durée à travers le monde. Il y a vu bien des alternatives aux CHSLD, par exemple des résidences où une gestion plus locale facilite l’intégration dans la communauté, brise l’isolement et stabilise le personnel.

 

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