Les fumeurs sont-ils plus à risque?

24 avril 2020
Annie Labrecque, Québec Science

Smoking cigarette isolated on white background

Q : « Est-ce que les fumeurs sont plus à risque de complications s’ils attrapent la COVID 19? »,  s’interroge Marianne Lavallée.

R : Selon Mathieu Simon, pneumologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, un fumeur n’aura pas nécessairement de complications plus sévères qu’une personne non fumeuse. Par contre, comme l’indique l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les fumeurs sont plus à risque de complications s’ils sont déjà « atteints d’une maladie pulmonaire ou ont une capacité pulmonaire réduite ».

« Un fumeur ayant développé d’autres complications associées au tabagisme comme de l’hypertension, une maladie cardiaque, l’emphysème pulmonaire ou une bronchite chronique a un moins bon pronostic s’il attrape la COVID-19 », explique le Dr Mathieu Simon. « Si vous fumez, que vous êtes jeunes et en santé et que vos poumons et votre cœur ne sont pas encore malades, vous allez vous en tirer relativement bien. Mais si vous êtes plus avancé dans votre vie et que vous avez développé un emphysème et une maladie cardiaque dus au tabagisme, les risques de complications sont plus grands », ajoute-t-il.

De façon étonnante, plusieurs données préliminaires suggèrent que les fumeurs sont relativement épargnés par la COVID-19. Selon une étude publiée dans The New England Journal of Medicineportant sur plus de 1000 patients chinois, la proportion de fumeurs atteints du virus SRAS-CoV-2 était plus faible que la proportion de fumeurs dans la population générale.

Ainsi, les fumeurs et ex-fumeurs représentaient 14,5 % des patients infectés. Or la prévalence du tabagisme est de 27,7 % en Chine.

Des chercheurs français rapportent eux aussi avoir observé, sur une cohorte de 350 patients hospitalisés, que 5 % des patients étaient fumeurs, ce qui signifie qu’il y aurait «n80 % de moins de fumeurs chez les patients atteints de la COVID-19 que dans la population générale de même sexe et de même âge ».

Y aurait-il un quelconque effet protecteur de la cigarette ou, plutôt, de la nicotine? Difficile de s’avancer car il n’y a pas assez d’études sur le sujet pour avoir une idée claire, mais les chercheurs examinent cette possibilité.

Prise en solo, la nicotine pourrait avoir un certain effet protecteur sur les poumons selon une hypothèse des chercheurs français. Ils avancent que le récepteur sur lequel se fixe la nicotine, présent à la surface des neurones, notamment, pourrait être lui aussi une porte d’entrée pour le virus – on sait d’ailleurs qu’il est utilisé par d’autres virus. La nicotine fixée ferait ainsi obstacle au virus.

« Notre hypothèse propose que le virus pourrait pénétrer dans le corps via les neurones du système olfactif et/ou par les poumons, entraînant différents symptômes et différents pronostics. Elle contraste avec la vision actuelle selon laquelle le récepteur ACE2 serait le principal récepteur utilisé par le SRAS-CoV-2 pour entrer dans les cellules », notent-ils, ajoutant que la perte d’odorat fréquemment observée irait dans leur sens.

Les chercheurs, s’ils reçoivent les autorisations nécessaires, débuteront des essais préventifs et thérapeutiques à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris, pour étudier l’effet de la nicotine sous forme de timbre cutané.

Mathieu Simon, lui, a remarqué des effets similaires dans le cas d’une autre maladie pulmonaire, la sarcoïdose. Même si le pneumologue québécois ne voit pas de contre-indication à tester ce timbre, il ne se fait pas d’illusions et rappelle qu’il n’existe pas de solution miracle. «On est loin de demander aux patients de fumer pour se protéger. La nicotine est responsable de la dépendance à la cigarette. En elle-même, la nicotine n’est pas dangereuse pour les poumons, mais ce sont toutes les autres substances de la cigarette qui le sont».

Par ailleurs, les habitudes des fumeurs pourraient augmenter leurs risques d’attraper la COVID-19. Selon l’OMS, les doigts et les cigarettes potentiellement contaminés des fumeurs sont ensuite « en contact avec la bouche, augmentant la possibilité d’introduire le virus. »

 

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