La grippe, victime collatérale du confinement?

8 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Portrait of young woman with illness symptom Free Photo

Q : « Il serait intéressant de connaître l’effet des mesures actuelles sur les autres maladies contagieuses. En théorie, elles devraient toutes baisser de façon radicale en raison du confinement, tant la gastro-entérite, les rhumes que la grippe, non? », demande Jacques Fortin, de Québec.

R : C’est effectivement ce à quoi on peut s’attendre, à tout le moins en ce qui concerne les infections respiratoires qui se propagent d’une manière comparable à la COVID-19. Et c’est bel et bien ce qui semble s’être passé au cours des dernières semaines — même si on n’en sera sans doute jamais certain, j’y reviens tout de suite.

L’Institut de la santé publique (INSPQ) a un réseau de surveillance de l’influenza qui compile des statistiques sur les tests d’influenza qui sont commandés par les médecins du Québec — ce qui représente généralement quelques milliers de tests par semaine en hiver. On considère que la « saison de la grippe » est officiellement commencée à partir du moment où plus de 5 % des tests sont positifs, ce qui est arrivé vers la fin de novembre cette saison-ci. Et comme le montre le graphique suivant, cette proportion s’est complètement écroulée au cours du mois de mars (semaines 9 à 13).

Source des données : INSPQ

Nous avons eu une très grosse « saison » cet hiver, avec des taux de positifs dépassant souvent les 30 %. Mais dans la « semaine 13 », qui s’est terminée le 28 mars, l’influenza n’était plus détectée que dans 2,6 % des échantillons analysés. C’est beaucoup, beaucoup moins qu’à pareille date l’an dernier et l’année précédente, alors qu’autour de 16 à 17 % des tests étaient positifs [voir résultats]. On remarque d’ailleurs la même chose à l’échelle canadienne [voir résultats].

Alors il semble que le confinement ait terrassé l’influenza, ou du moins l’ait achevée. Mais il faut ajouter deux choses au sujet de ces chiffres. La première, c’est que le recul de la grippe a commencé bien avant que le gouvernement ne décrète les mesures actuelles de confinement, soit le 23 mars. Le pic de l’influenza a été atteint vers la mi-février (36 % de tests positifs). À la mi-mars, soit juste avant que la population ne s’isole, ce taux était déjà tombé autour de 12 à 15 %. On aurait donc tort d’attribuer le recul de la grippe entièrement aux mesures de distanciation.

La deuxième chose, c’est que l’arrivée de la COVID-19 au Québec a changé les mesures : le nombre de tests d’influenza est passé d’environ 6000 par semaine en février à 1300 dans la dernière semaine de mars. « Depuis mars, les ressources des laboratoires sont concentrées sur la COVID-19, indique Dr Hugues Charest, de l’INSPQ. D’ailleurs, nous allons cesser d’envoyer des rapports de surveillance hebdomadaires puisque les données actuelles sur les autres virus respiratoires ne reflètent plus en rien la situation dans la population. »

Cela signifie qu’il faut considérer toutes ces données avec prudence : avoir seulement 2,6 % de tests d’influenza positifs à ce temps-ci de l’année est très inhabituel, et cela reflète peut-être l’efficacité du confinement. Ce serait tout-à-fait cohérent avec ce que l’on sait de la transmission de la grippe, en tout cas. Mais d’un autre côté, cela n’indique peut-être rien de plus qu’un changement dans la surveillance de la grippe. Difficile de dire ce qui s’est vraiment passé.

La COVID-19 suscite énormément de questions. Afin de répondre au plus grand nombre, des journalistes scientifiques ont décidé d’unir leurs forces. Les médias membres de la Coopérative nationale de l’information indépendante (Le Soleil, Le Droit, La Tribune,  Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est), Québec Science et le Centre Déclic s’associent pour répondre à vos questions. Vous en avez? Écrivez-nous. Ce projet est réalisé grâce à une contribution du Scientifique en chef du Québec, qui vous invite à le suivre sur Facebook, Twitter et Instagram.