COVID-19: retour sur la saga de l’hydroxychloroquine

16 avril 2020
Marine Corniou, Québec Science

Pilules, Médecine, Médicaments, Médicaux

La chloroquine et son dérivé, l’hydroxychloroquine, soulèvent les passions. Ces vieux médicaments utilisés contre le paludisme et certaines maladies auto-immunes pourraient avoir un effet antiviral contre le SRAS-CoV-2 et être utiles pour traiter les cas graves de COVID-19.

Dans le monde, environ 80 essais cliniques évaluent dans ce contexte l’effet de la chloroquine, de l’hydroxychloroquine ou des deux, en les associant parfois à d’autres médicaments. L’un d’eux, l’essai HOPE, a débuté le 14 avril en Alberta.

Il faut dire que le médicament a beaucoup d’avantages. « L’hydroxychloroquine peut être administrée de façon sécuritaire à des personnes en dehors de l’hôpital, si les facteurs de risque (cardiaques, ndlr) ont été écartés, elle n’est pas chère et peut être disponible immédiatement si elle est efficace », souligne la Dre Luanne Metz, professeure au Hotchkiss Brain Institute et investigatrice principale de l’essai albertain.

Remède miracle ou solution décevante? Propulsée sur le devant de la scène par Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, en France, la molécule est au cœur d’un débat mondial, certains leaders politiques dont Donald Trump en ayant même fait l’apologie. La communauté scientifique, elle, est plus prudente.

Du tube à essai à l’humain

L’effet antiviral de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine (un dérivé moins toxique) est connu et étudié depuis 40 ans. Le mécanisme d’action n’est pas entièrement clair, mais ces molécules semblent modifier l’acidité à l’intérieur des cellules et interférer ainsi avec la multiplication et la libération des nouveaux virus.

La chloroquine a montré une activité antivirale in vitro sur de nombreux virus, y compris sur le SRAS-CoV en 2005 et le SRAS-CoV-2. Malheureusement, par le passé, les essais chez l’humain ont donné des résultats décevants, aggravant parfois même les symptômes dans le cas du chikungunya.

Naturellement, plusieurs équipes médicales ont tout de même testé ces molécules chez des patients souffrant de la COVID-19, dès le début de l’épidémie en Chine.

Mais les données accumulées jusqu’ici sur plusieurs petites séries de patients (une trentaine à chaque fois, en général) ne permettent pas de trancher sur son efficacité. Il est donc urgent de poursuivre les recherches : c’est ce que souligne une revue systématique ayant regroupé les résultats de 6 articles et recensé 23 essais cliniques en cours en Chine.

« Le fait qu’autant d’études soient menées en parallèle suggère que la communauté scientifique fait des efforts colossaux pour clarifier cette question, mais ces efforts sont probablement insuffisamment coordonnés », notent les auteurs.

Les essais en cours

Ainsi, plusieurs essais cliniques d’envergure ont débuté pour évaluer l’efficacité de l’hydroxychloroquine chez des patients atteints de formes modérées à sévères de COVID-19, dont un en Europe (l’essai Discovery) qui teste aussi 3 autres médicaments.

Au Canada, l’essai HOPE sera mené auprès de 1600 patients. Cet essai sera randomisé (les patients seront répartis au hasard entre un groupe traité et un groupe recevant un placebo), en double aveugle (ni les patients ni les médecins ne sauront s’ils interviennent dans le groupe traité ou placebo). Il déterminera si un traitement d’hydroxychloroquine pendant 5 jours, initié dans les 4 jours suivant le diagnostic et dans les 12 jours suivant le début des symptômes, peut réduire la sévérité de la maladie (c’est-à-dire le risque d’hospitalisation et le besoin de ventilation).

Un autre essai impliquant des patients québécois sera conduit par l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, en collaboration avec l’Université du Minnesota et d’autres centres. Il visera à la fois à évaluer l’effet préventif de l’hydroxycholoroquine chez des professionnels de la santé exposés au virus et à étudier l’effet thérapeutique chez des adultes malades. Au total, les équipes tentent de recruter 3000 patients.

De son côté, l’équipe de Didier Raoult a partagé, sur le site de l’IHU, des résultats non publiés sur environ 1000 patients, mais nous y reviendrons.

Pourquoi les données du Dr Raoult ne sont-elles pas claires?

On l’a vu, la plupart des essais menés jusqu’ici incluaient de petits groupes de patients, avec des méthodologies différentes rendant la « compilation » difficile et avec des résultats contradictoires (études et prépublications négatives ici, ici, et ici entre autres).

Didier Raoult, qui vante son protocole avec aplomb par voie de vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux, est très controversé, car la méthodologie de ses études ne permet malheureusement pas d’en tirer des conclusions claires.

Prenons sa première étude, publiée en mars sur 20 patients traités par de l’hydroxychloroquine associée ou non à un antibiotique, l’azithromycine, et 16 patients non traités. Le groupe recevant les deux médicaments ne comptait que 6 patients.

Ce qu’on reproche à l’étude? D’abord, les patients et les médecins savaient dans quel groupe se trouvaient les malades, ce qui introduit des biais, et les groupes n’étaient pas répartis au hasard. Il y a notamment de grosses différences dans les moyennes d’âge et la sévérité. On compare des pommes et des oranges, autrement dit. Ensuite, les patients présentaient des formes diverses de la maladie : certains (6) étaient asymptomatiques, d’autres (22) n’avaient que des symptômes des voies respiratoires supérieures, et seulement 8 avaient des symptômes des voies respiratoires basses, a priori plus graves.

Autre problème de taille : 6 patients ont arrêté précocement leur traitement pour diverses raisons, trois d’entre eux ayant dû être pris en charge aux soins intensifs, et un étant décédé. Ces patients dont l’état a empiré ont été exclus des statistiques… Enfin, ce qu’on mesurait ici était la diminution de la charge virale dans les sécrétions nasales, c’est-à-dire l’élimination du virus (mais l’étude n’était pas conçue pour évaluer les symptômes, par exemple). Bref, la conclusion est simple : on ne peut rien en tirer. D’ailleurs, l’étude publiée dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents, éditée par l’International Society of Antimicrobial Chemotherapy (ISAC), a ensuite été décriée par l’ISAC elle-même au motif qu’elle ne répond pas aux critères de qualité normalement requis pour la publication.

Didier Raoult a ensuite publié un second manuscrit, sur 80 patients cette fois, recevant à la fois de l’azithromycine et de l’hydroxychloroquine. Là encore, impossible d’en tirer des résultats interprétables, pour de nombreuses raisons, la principale étant l’absence de groupe témoin. Comment savoir si l’amélioration de l’état des patients est bel et bien due au traitement? Quel est l’effet de l’azithromycine? La combinaison des médicaments est-elle meilleure que les traitements administrés séparément?

D’autant que « 81,3 % des patients ont eu une évolution favorable et ont pu quitter l’unité rapidement. Seuls 15 % ont eu besoin d’oxygène », lit-on dans l’étude, ce qui correspond à ce qui est observé en moyenne chez les gens s’étant remis de la maladie sans traitement.

Finalement, une dernière publication sur le site de son institut affirme qu’il a traité plus de 1000 patients par l’association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine avec un taux de mortalité de seulement 0,5 %. Il s’agit d’un résumé parcellaire, qui n’expose pas les critères d’inclusion des patients, dont la moyenne d’âge est 43,6 ans. Et il n’y a toujours pas de bras contrôle… Difficile d’en conclure quoi que ce soit pour l’instant.

Effets cardiaques

L’hydroxychloroquine a beau être bien connue et sécuritaire, elle n’est pas sans risque et l’automédication doit être absolument évitée. Alors que les protocoles de Didier Raoult reposent principalement sur la combinaison d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, les grands essais en cours concernent l’hydroxychloroquine seulement, ce que le professeur Raoult a critiqué.

Interrogée sur ce sujet, Luanne Metz, en Alberta, souligne que la combinaison pose des problèmes d’innocuité. « L’azithromycine est contre-indiquée chez les patients qui n’ont pas passé d’électrocardiogramme, car les deux médicaments peuvent causer des problèmes d’arythmie », dit-elle.

Comme beaucoup d’antibiotiques, l’azithromycine peut provoquer ce qu’on appelle un allongement de l’intervalle QT, qui est une anomalie du rythme cardiaque (visible à l’électrocardiogramme). Le problème, c’est que l’hydroxychloroquine peut entraîner le même problème : la combinaison des deux potentialise donc les risques, comme l’a constaté une équipe internationale dans une pré-publication. « Quand on combine l’azithromycine et l’hydroxychloroquine, nous observons une augmentation de la mortalité cardiaque sur 30 jours, des douleurs thoraciques et de l’insuffisance cardiaque », avertissent les auteurs.

En France, plus d’une cinquantaine de cas de toxicité cardiaque et plusieurs décès ont été rapportés aux autorités, en lien avec la prise d’hydroxychloroquine, seule ou associée à l’azithromycine.

Prudence donc, en attendant des résultats plus concluants. Il faudra laisser encore un peu de temps aux chercheurs. « Nous espérons terminer le recrutement de tous les patients d’ici le mois d’août. Si le recrutement est plus rapide, dépendamment de l’aplatissement de la courbe qu’on observera en Alberta, nous pourrions avoir des résultats avant cela. C’est malheureusement difficile à prédire », précise Luanne Metz.

Pénurie risquée

L’engouement pour la chloroquine et l’hydroxychloroquine a entraîné une pénurie de ces médicaments un peu partout sur la planète, plusieurs médecins et hôpitaux constituant des stocks en urgence pour les patients COVID-19.

Or ces traitements sont utilisés pour le traitement au long cours de plusieurs maladies autoimmunes, dont le lupus et la polyarthrite rhumatoïde. Plusieurs de ces patients, qui sont plus vulnérables face à la COVID-19 que les autres, ont vu leur traitement être interrompu, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) ayant demandé aux pharmaciens de réserver leurs stocks à certains patients (ceux atteints de lupus érythémateux disséminé, les femmes enceintes et les mineurs atteints d’arthrite juvénile idiopathique), tout en autorisant temporairement la suspension des traitements de certains patients.

Le Collège des médecins du Québec a en outre émis un avertissement sur l’émission d’ordonnances de chloroquine ou d’hydroxychloroquine visant à traiter ou à prévenir la COVID-19 chez des patients ambulatoires (non hospitalisés). « Des efforts sont présentement déployés, d’une part, pour assurer le maintien de la thérapie des patients utilisant ces médicaments de façon chronique et, d’autre part, pour en constituer une réserve destinée aux patients hospitalisés. »

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