Le lave-glace et le vinaigre sont-ils de bons désinfectants?

20 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Masquer, Coronavirus, La Quarantaine, Virus, L'Épidémie

Q : « En cette période de pénurie de Purell et autres antiseptiques alcooliques, je me demandais si certaines préparations commerciales ne pourraient pas servir telles quelles ou dans des recettes maison. L’antigel de plomberie pour chalets et véhicules récréatifs contient 68 % d’éthanol avec propylène glycol, je crois. Le lave-glace d’hiver contient autour de 65 % de méthanol, et le combustible à fondue en contient lui aussi beaucoup. Qu’en est-il? », demande Michel A. Fortier, de Québec.

Pour sa part, Manon Couture, de Beaconsfield, veut savoir si « le vinaigre blanc est un désinfectant adéquat? Et si oui dans quelle proportion doit-on le diluer avec de l’eau? ».

 

R : On ne le dira sans doute jamais assez : LA manière par excellence de se désinfecter les mains, la plus simple, la plus efficace, la plus économique et la plus disponible, demeurera toujours de se les laver énergiquement et régulièrement à l’eau et au savon. Et c’est particulièrement vrai dans le cas d’un virus comme celui de la COVID-19, qui possède une « enveloppe » de lipides — c’est-à-dire des graisses, que tous les savons dissolvent avec une impitoyable efficacité.

Mais comme le Purell se fait rare, que l’alcool à 90 % qu’il faut pour se fabriquer du « Purell maison » est lui aussi difficile à trouver dans les commerces ces temps-ci, et que certaines personnes tiennent vraiment à traîner leur flacon de désinfectant à mains avec eux, plusieurs lecteurs m’ont écrit pour savoir s’ils pouvaient utiliser toutes sortes d’autres choses que de l’alcool.

D’emblée, le chimiste de l’Université Laval Normand Voyer recommande d’éviter complètement le méthanol pour se désinfecter les mains. « Il ne faut juste pas toucher à ça, avertit-il. À l’oreille, ça a l’air de ressembler à l’éthanol (ndlr : l’alcool que l’on boit) et d’être inoffensif, mais en fait c’est ce qu’on appelle de l’« alcool de bois » et c’est très toxique. Ça peut rendre aveugle et ça peut même tuer. »

Mieux vaut donc laisser dans leurs bouteilles tous les liquides à fondue et les lave-glaces d’hiver, du moins ceux qui sont à base de méthanol.

La même chose vaut pour le vinaigre blanc, mais pour une raison différente : malgré sa réputation d’antiseptique « naturel », il n’est pas aussi efficace qu’on le croit. Il peut tuer certains microbes, oui, mais il en laisse aussi beaucoup — trop, en fait, pour que Santé Canada le considère comme un vrai désinfectant. Par exemple, une étude parue en 2000 dans Infection Control and Hospital Epidemiology a trouvé que le vinaigre était relativement efficace contre la salmonelle (99 % de réduction après 30 secondes d’exposition), mais beaucoup moins contre les staphylocoques dorés et le virus de la polio (autour de -40 % seulement).

En outre, ajoute M. Voyer, « dans le cas des coronavirus, c’est encore pire parce qu’ils aiment bien les pH acides, donc ils vont adorer le vinaigre! ».

Cela dit, le cas des antigels à plomberie est plus compliqué. D’abord parce que leurs formules sont variables (la même chose vaut pour les lave-vitres, d’ailleurs). Certains sont à base d’éthanol, et une proportion de 68 % comme celle que M. Fortier mentionne aurait un bon effet antiviral. Mais en cherchant, j’en ai trouvé d’autres qui contiennent beaucoup moins d’éthanol — par exemple, les antigels pour véhicules récréatifs du fabricant montréalais Recochem n’ont des concentrations d’éthanol que de 15 à 40 %, ce qui est très insuffisant pour désinfecter (il faut au moins 60 %).

En outre, plusieurs antigels ne sont tout simplement pas à base d’éthanol, mais plutôt de « propylène glycol », un liquide visqueux et non toxique pour l’humain, ou d’éthylène glycol qui, lui, est plus toxique. (Notons que le propylène glycol vient en deux « sortes » pour ainsi dire, le propanediol-1,2 et le propanediol-1,3, ce dernier étant plus toxique que le premier.)

La bonne nouvelle, là-dedans, c’est que le propylène glycol a (presque) toutes les caractéristiques qu’il faut pour faire un bon antiseptique de remplacement : il tue efficacement les virus, il est fabriqué et disponible en très grandes quantités et il n’est pas toxique. Une étude parue en 2006 dans le Journal of Hospital Infections a montré que le propylène glycol pouvait être utilisé pour diminuer la concentration d’éthanol d’un mélange désinfectant tout en maintenant son efficacité.

Donc « ce n’est pas impossible de prendre du propylène glycol pour faire ça, ça peut marcher. Mais il faut avoir la bonne proportion, car le propylène glycol est toujours dilué dans les antigels », dit M. Voyer. Ses vertus antiseptiques ne sont pas très bien étudiées mais on peut estimer que comme pour l’éthanol, il faut un minimum de 60 % de propylène glycol (dans le mélange final pour les mains, pas juste dans l’antigel).

Et voilà qui peut compliquer les choses pour la peine : beaucoup d’antigels n’ont pas tant de propylène glycol que ça. Celui-ci, par exemple, n’en a que 40 %. La concentration augmente dans les antigels conçus pour résister à des plus grands froids, mais il semble que même les antigels -50°C contiennent tout juste 60 % de propylène glycol, ce qui est un peu limite — et pas assez si on veut ajouter d’autres ingrédients au mélange, comme de la glycérine pour rendre le désinfectant plus visqueux.

Alors il faudrait concentrer l’antigel ou se procurer du propylène glycol pur auprès d’un fabricant industriel — mais rendu là, est-ce que ça ne devient pas un peu compliqué pour remplacer une chose aussi simple que le bon vieux lavage des mains au savon ?

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