Le vaccin contre la grippe augmente-t-il les risques?

7 mai 2020
Valérie Borde, Centre Déclic

Femme médecin avec une seringue

Q : « On lit que le vaccin contre la grippe augmenterait les risques de coronavirus de 36 % selon une récente étude du Pentagone. Qu’en est-il? », demande Andrée, de Sherbrooke.

Cette nouvelle est abondamment propagée sur les réseaux sociaux par les mouvements anti-vaccins. Elle est basée sur une étude qui existe vraiment, mais dont les conclusions ont été déformées pour n’en retenir qu’une donnée insignifiante.

Dans cette étude publiée dans la revue Vaccine, un chercheur du Département américain de la défense a voulu documenter l’interférence virale, un phénomène encore mal connu qui pourrait faire en sorte que certains virus, voire des vaccins, influencent le risque de contracter une autre infection virale dans le même temps. Une étude d’un chercheur, ce n’est pas le point de vue « du Pentagone ».

Dans cette étude réalisée dans le cadre du Programme de surveillance globale des pathogènes respiratoires du Département de la défense, près de 10 000 échantillons ont été prélevés chez des membres des forces armées et de leurs familles au cours de la saison grippale de 2017-18, pour y analyser les virus présents. Le chercheur a compilé les données pour voir s’il y avait des liens statistiques entre le fait qu’une personne soit vaccinée ou non contre l’influenza et le fait qu’elle ait eu, à un moment ou à un autre, un autre virus respiratoire au cours de la même saison.

Ce genre d’étude peut établir des corrélations, mais pas des liens de cause à effet. Il faut toujours les prendre avec un grain de sel, car beaucoup de choses sont parfaitement  corrélées sans pour autant avoir le moindre rapport entre elles.

Sans surprise, le chercheur a observé que les personnes vaccinées contre la grippe ont eu beaucoup moins la grippe. Elles n’ont par contre eu ni plus ni moins d’infections respiratoires causées par d’autres virus, les petites différences observées n’étaient pas statistiquement significatives. Parmi les virus présents dans certains des échantillons, figuraient des coronavirus qui donnent des rhumes. Il n’y avait évidemment pas le SARS-Cov-2 qui n’existait pas encore au moment de cette campagne d’échantillonnage.

Dans l’étude, 7,8 % des personnes vaccinées contre la grippe ont eu une infection par un coronavirus durant cet hiver-là, contre 5,8 % des personnes non vaccinées. Pour estimer l’importance de la différence entre ces deux chiffres, les épidémiologiques utilisent une fonction appelée le rapport de cote (odd ratio en anglais), qui dans le cas présent correspond à une augmentation de 36% des chances qu’une personne vaccinée ait eu aussi un coronavirus, par rapport à une personne non vaccinée. C’est ce chiffre qui a été monté en épingle dans un texte signé par  Robert F. Kennedy Jr, dont l’association Children’s Health Defense milite contre les vaccins.

Pourtant, le chercheur auteur de l’étude reconnait que cette différence pourrait être due au hasard. Ses conclusions sont très claires : cette étude n’apporte pas de preuve qu’une interférence virale quelconque soit associée au vaccin contre la grippe. Celui-ci reste d’ailleurs obligatoire pour les membres des forces armées américaines, ce que l’étude ne remet pas en cause. L’armée américaine est d’ailleurs sur le point de démarrer sa campagne de vaccination pour ses troupes déployées dans l’hémisphère sud, où la saison de la grippe est pour bientôt.

Quant au phénomène d’interférence virale, il est encore mal documenté, et surtout par des études épidémiologiques qui ont des limites du fait de leur méthodologie. Ce n’est pas parce que deux infections virales surviennent en même temps que l’une augmente le risque de l’autre à cause de la réaction du système immunitaire : d’autres facteurs, comme l’abondance des virus à telle ou telle saison, peuvent jouer. Par ailleurs, il faut bien réaliser aussi que quand bien même un vaccin augmenterait le risque d’attraper une autre infection (hypothèse théorique, rien n’indique que cela se produise!), cela n’impliquerait pas non plus qu’il faille renoncer à ce vaccin, car la décision doit être prise en tenant compte des risques encourus. Si un vaccin contre une maladie mortelle augmentait votre risque d’avoir une maladie sans conséquence (encore une fois, on n’a pas de preuves que cela existe!), cela vaudrait quand même la peine d’être vacciné.

Ce n’est pas la première fois que le Children’s Health Defense interprète faussement des études sur le vaccin contre la grippe, c’est son fonds de commerce. À chaque fois, il applique les mêmes stratégies : sortir un chiffre d’une étude et ne pas donner l’interprétation que les auteurs en font,  attribuer ce chiffre à un grand organisme reconnu comme si c’était sa position officielle plutôt qu’un morceau d’une étude publiée par un de ses chercheurs, et engendrer la peur avec des mots-clés inquiétants – parler juste de coronavirus sans spécifier lesquels, ça n’a pas de sens! Ce n’est pas une erreur d’interprétation (il faut bien lire les études pour y trouver les chiffres), c’est une stratégie délibérée, trompeuse, malhonnête et dangereuse. Ne vous laissez pas avoir.

La COVID-19 suscite énormément de questions. Afin de répondre au plus grand nombre, des journalistes scientifiques ont décidé d’unir leurs forces. Les médias membres de la Coopérative nationale de l’information indépendante (Le Soleil, Le Droit, La Tribune,  Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est), Québec Science et le Centre Déclic s’associent pour répondre à vos questions. Vous en avez? Écrivez-nous. Ce projet est réalisé grâce à une contribution du Scientifique en chef du Québec, qui vous invite à le suivre sur Facebook, Twitter et Instagram et du Laboratoire de journalisme de Facebook.

Avec le soutien du Réseau de l’Université du Québec et des Fonds de recherche du Québec.