Le zinc, une « solution miracle » contre la COVID-19?

19 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

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SCIENCE AU QUOTIDIEN / « J’ai lu votre article disant qu’il n’existe pas encore de médicament qui combat directement le virus de la COVID-19, et j’aimerais maintenant savoir s’il est vrai que le zinc est un nutriment « miracle » contre cette maladie, comme le prétend le site Santé Corps Esprit », demande Raymond Varin.

 

Il est possible que le zinc puisse améliorer la réponse immunitaire contre les virus en général. Donc peut-être — j’insiste : peut-être — que cela pourrait aider contre la COVID-19, mais ça n’est pas encore démontré. Pas du tout, même.

Ce qu’on sait du zinc, c’est qu’il est un nutriment essentiel : le corps ne peut pas s’en passer parce qu’il est impliqué dans toutes sortes d’aspects du métabolisme, dont le bon fonctionnement du système immunitaire. Les personnes qui manquent de zinc développent moins bien leurs cellules immunitaires. Selon un article paru l’an dernier dans la revue savante Advances in Nutrition, bon nombre d’études ont montré des effets positifs du zinc pour combattre divers virus, dont certains virus respiratoires. Une méta-analyse (article qui regroupe les données de plusieurs études sur une même question) que la très sérieuse Collaboration Cochrane a publiée en 2013 a également conclu que le zinc peut aider contre les virus qui causent le rhume, ce qui inclut certains coronavirus.

Alors bien que l’idée que ce minéral puisse donner un coup de pouce contre la COVID-19 ne soit pas prouvée, on ne peut pas non plus la qualifier de totalement farfelue — mais c’est pas mal ce qu’on peut dire de plus positif de ce texte de Santé Corps Esprit, j’y reviens.

D’abord, l’effet observé par Cochrane en 2013 n’était pas grand : les symptômes n’étaient écourtés que de 1 journée en moyenne. Leur sévérité, elle, n’était pas réduite par le zinc et il fallait de fortes doses (75 milligrammes et plus par jour, alors que le maximum recommandé est de 40 mg/j) pour observer un effet — sans compter que Cochrane qualifiait la qualité de ces preuves scientifiques de « faible ».

En outre, l’article d’Advances in Nutrition a trouvé une « grande variabilité » dans les résultats sur les virus respiratoires : certaines études et méta-analyses concluent que le zinc aide à combattre les virus respiratoires, mais d’autres non. La page Web que les National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis consacrent au zinc a constaté la même chose au sujet du rhume — il y a des études qui penchent des deux côtés.

Alors qu’est-ce que tout cela veut dire pour la COVID-19? Pas grand-chose, en fait. Même si on part du principe que les suppléments de zinc aident contre le rhume, et même si on présume que cela vaut pour les coronavirus humains (qui ne sont pas les seuls virus à donner le rhume), on ignore complètement si cela s’applique à la COVID-19. Alors peut-être que ça peut aider. Peut-être…

Malheureusement, le texte de Santé Corps Esprit ignore allègrement toutes ces nuances pour présenter le zinc comme une « solution miracle » dont il faut « parler de toute urgence » (malgré une ou deux formulations plus prudentes ici et là, pour la forme). C’est d’ailleurs là un travers à peu près systématique de ce site quand il est question de « santé naturelle ». Cette revue virtuelle n’est pas du tout une source d’information fiable, mais plutôt un outil de propagande qui, quand il s’agit de promouvoir la « santé naturelle », verse régulièrement dans les exagérations, les déformations et les faussetés pures et simples. Voici quelques exemples que j’ai trouvés dans le texte sur le zinc :

  • « Des médecins du monde entier prescrivent du zinc!! Deux scientifiques allemands viennent de publier une étude entière sur ce sujet, appelant à tester la combinaison de l’hydroxychloroquine + zinc contre le COVID-19 », lit-on dans le texte. Or quand on remonte à la source, on se rend vite compte qu’il ne s’agit pas du tout d’une « étude entière », mais une simple « hypothèse ».
  • « Le zinc empêche la multiplication, dans la cellule, des coronavirus à ARN… dont fait partie le coronavirus chinois », assure Santé Corps Esprit, citant cette étude à l’appui. Or ladite étude ne parle pas du « coronavirus chinois », mais du virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Il s’agit d’un proche parent du virus de la COVID-19, mais ce n’est pas la même chose. L’article a bel et bien trouvé un effet inhibiteur du zinc sur ce virus, mais c’était en éprouvette et sur des cellules de singe. Alors on est très loin d’une preuve d’efficacité contre la COVID-19 dans un vrai corps humain.
  • « De façon générale, la carence en zinc est très fréquente dans la population! », poursuit le site, qui évoque même le chiffre de 80 à 90 % des patients d’« un médecin-nutritionniste », qui n’est nommé nulle part. Il est vrai que le manque de zinc est un problème relativement répandu, mais les NIH parlent plutôt de 20 à 25 % chez les 60 ans et plus. Ce n’est pas « très fréquent  ».
  • « Et ce n’est pas tout, enchaîne Santé Corps Esprit. Regardez cette étude sidérante, publiée dans le BMC Medicine. Parmi 350 enfants souffrant d’une pneumonie sévère, ceux qui ont reçu du zinc (en plus des antibiotiques) ont eu trois fois plus de chances de survivre! C’est considérable : il y a eu 7 morts dans le groupe « avec zinc » contre 21 morts dans le groupe « sans zinc » ! » Ici, on est vraiment dans le n’importe quoi. Les chiffres cités sont véridiques, mais Santé Corps Esprit « oublie » de mentionner que l’étude a été menée en Ouganda, un pays où le VIH fait des ravages, avec près de 6 % des 15-49 ans qui sont séropositifs, et « oublie » de préciser que le zinc n’a fait une différence que chez les enfants porteurs du VIH. Dans cette étude « sidérante », on lit en effet : « Parmi les 127 enfants non-atteints du VIH, la mortalité fut de 7/127 (5,5 %) chez ceux qui ont reçu un placebo et de 5/127 (3,9 %) chez ceux qui ont reçu du zinc. » Tant mieux si le zinc a aidé les enfants séropositifs mais, encore une fois, ce que ce site Web présente comme une preuve n’en est pas vraiment une.

On pourrait continuer encore longtemps comme ça, mais le principe est toujours le même. Santé Corps Esprit multiplie les hyperliens vers des études scientifiques, mais déforment très souvent leurs données et leurs conclusions. En fait, il s’agit d’une des pires sources de désinformation scientifique que je connaisse — et j’en ai vu un sacré paquet, je vous prie de me croire.

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