Les asymptomatiques deviennent-ils immunisés?

17 mai 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Maladie microscopique du virus corona

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Ma fille de bientôt 13 ans se demandait récemment : est-ce qu’une personne qui est uniquement porteuse du virus (donc asymptomatique) peut ré-attraper la COVID-19 ? Aura-t-elle des anticorps même si elle n’a jamais développé la maladie ?», demande Joëlle Fournier, de Montréal.

Voilà une belle question sur laquelle une étude est justement parue la semaine dernière dans le Journal of the American Medical Association (JAMA). Pendant trois semaines, des chercheurs ont fait passer des tests sérologiques, qui détectent les anticorps, à 13 patients (dont un cas confirmé de COVID-19) et 25 travailleurs d’une unité d’hémodialyse pédiatrique. En bout de ligne, seulement trois de ces 38 personnes ont développé des symptômes de la COVID-19 mais, à la fin de l’étude, 14 avaient été « séroconvertis », c’est-à-dire qu’ils avaient forcément eu le virus puisqu’ils avaient des anticorps. L’un d’entre eux avaient même eu trois tests PCR (qui détecte le matériel génétique du virus, et non les anticorps) négatifs au cours de l’étude, signe qu’il avait une charge virale très faible, mais il avait quand même des anticorps.

On ignore si ces gens ont été infectés par le jeune patient qui a testé positif en début d’étude ou s’ils ont attrapé le coronavirus ailleurs, mais l’essentiel pour répondre à la question de Mme Fournier est que 11 participants de l’étude sont devenus « séropositifs » même s’ils ont fait une COVID-19 sans aucun symptôme. Et ce n’est pas particulièrement étonnant, remarquez, parce qu’on connaît d’autres cas de séroconversion chez des asymptomatiques. Dans une étude parue en 2010 sur 226 membres du personnel soignant d’un hôpital militaire de Singapour, 39 avaient développé des anticorps à la grippe AH1N1, dont 31 n’avaient montré aucun symptôme.

Maintenant, la question à 1000 $ (minimum) est celle-ci : le fait d’avoir des anticorps protège-t-il contre une ré-infection? Et si oui, pour combien de temps? Dans le cas de l’influenza, on sait que les anticorps empêchent de ré-attraper la grippe — du moins, tant que le virus n’a pas muté suffisamment pour ne plus être reconnu par le système immunitaire. Mais qu’en est-il de la COVID-19?

Il est possible que les asymptomatiques ne produisent pas autant d’anticorps que ceux qui font une forme plus grave de la maladie. En mars dernier, une petite étude chinoise a trouvé que les patients atteints de la COVID-19 qui étaient dans un état critique produisaient plus d’anticorps que ceux qui avaient une forme modérée de la maladie. Mais l’échantillon était minuscule (9 patients) et des niveaux élevés d’anticorps ne sont pas toujours associés à une meilleure immunité. À suivre, donc.

Pour l’instant, voici ce qu’on sait au sujet de la protection que confèrent les anticorps à la COVID-19 :

– Il n’existe à l’heure actuelle aucun cas avéré de ré-infection. Il y a bien eu cette histoire de près de 300 patients sud-coréens qui avaient testé positifs plusieurs semaines après leur rémission complète, mais il s’est avéré que les tests avaient simplement détecté des fragments de virus, pas des virus actifs ou contagieux. À l’heure d’écrire ces lignes, on approche des 4,5 millions de cas confirmés et de 1,6 million de guérisons à l’échelle mondiale depuis le début de la pandémie. L’absence de réinfections confirmées parmi eux n’est pas, en soi, une preuve formelle, mais cela montre qu’on a eu beaucoup d’occasions d’en trouver et que si on n’y est pas arrivé malgré une surveillance assez serrée (même si ça varie d’un pays à l’autre), cela suggère que les réinfections, si elles existent, sont très rares.

– Il n’y a pas encore eu d’études qui ont tenté de réinfecter des humains guéris, mais il y en a une, faite sur des macaques, qui a trouvé que les singes ne ré-attrapaient pas la maladie une fois guéris. C’est très bon signe, mais il s’agit cependant d’une très petite étude (4 macaques au total) qui n’a pas encore été révisée ni publiée par une revue scientifique, alors il faut la considérer avec prudence.

– On ignore pour l’instant combien de temps l’immunité va durer. La pandémie n’est vieille que de 5 à 6 mois, alors il est impossible de savoir avec certitude si le corps restera protégé pendant 1 ou 2 ans, voire plus. Il va falloir attendre avant d’être fixé. Dans le cas du plus proche parent connu de la COVID-19, soit le virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), les anticorps sont restés en forte concentration dans le sang pendant 4 à 5 mois après la guérison, lit-on dans un « tour d’horizon » sur l’immunité paru lundi dernier dans le JAMA. Près de 90 % des patients avaient toujours des anticorps au bout de deux ans, et environ la moitié après trois ans. Cependant, on sait que les réinfections sont possibles pour au moins trois des quatre « coronavirus humains » (qui circulent chez l’espèce humaine depuis des temps immémoriaux et qui donnent généralement juste des rhumes très bénins), soit parce que l’immunité qu’ils induisent est de courte durée ou parce que les gens peuvent être exposés à des variantes génétiques différentes de ces virus.

Alors il faudra attendre encore avant d’être certain, mais pour l’instant, tout indique que les asymptomatiques font des anticorps et que les « séroconvertis » sont bel et bien protégés contre une ré-infection.

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