Le fait d’avoir une maladie autoimmune protège-t-il contre la COVID-19?

9 avril 2020
Marine Corniou, Québec Science

Microscopic coronavirus illness with copy space

Q : « J’aimerais savoir si les personnes qui ont une maladie auto-immune, occasionnée par une réaction exagérée de leurs anticorps, pourraient être davantage protégées contre le coronavirus », demande Lyne Lessard, de Lévis.

R : « Hélas, c’est l’inverse, répond d’emblée George Tsokos, professeur à la Harvard Medical School et chef du service de rhumatologie au centre médical Beth Israel Deaconess, à Boston. Tout leur système de défense est compromis ».

Pourtant, vous avez tout à fait raison : les maladies autoimmunes résultent d’une « suractivation » du système immunitaire, qui s’attaque aux cellules normales de l’organisme. Il existe de nombreuses maladies autoimmunes, du diabète de type 1 en passant par la sclérose en plaques, la maladie de Crohn, le lupus érythémateux systémique ou encore les rhumatismes inflammatoires (polyarthrite inflammatoire, entre autres).

En fait, les patients atteints de maladies autoimmunes sont plus vulnérables face aux maladies infectieuses, d’abord en raison de leur affection, mais aussi à cause des médicaments immunosuppresseurs qu’ils prennent.

S’il manque encore de données concernant les effets de la COVID-19 chez les personnes ayant une affection autoimmune, des efforts sont en cours pour mieux les documenter.

Risque accru d’infection

Ce risque est connu et étayé par plusieurs études. Par exemple, en 2007, une étude menée sur plus de 2000 personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde et suivies pendant des années a révélé que leur risque d’être hospitalisé en raison d’une infection était multiplié par un facteur de 2 à 4 par rapport aux personnes en bonne santé.

« Cette tendance résulte du dysfonctionnement général du système immunitaire caractéristique de toutes les maladies autoimmunes et dépend du degré d’activité de la maladie », soulignait une équipe de chercheurs italiens dans une étude sur le risque de COVID-19 chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde.

« Les infections sont la cause majeure de décès chez les personnes atteintes de lupus », rappelle de son côté le Dr Tsokos.

Dans une étude parue en ligne ces jours-ci, l’équipe d’Amr Sawalha, de l’Université de Pittsburgh, suggère que les patients atteints de lupus pourraient être particulièrement  susceptibles à la COVID-19 et plus à risque de développer des formes sévères, pour des raisons physiologiques. Il semble que certains mécanismes épigénétiques résultent en une surexpression, chez ces patients, du récepteur ACE2 qui permet aux virus d’entrer dans les cellules.

De manière plus générale, le système immunitaire doit être très finement régulé pour fonctionner de façon optimale, et le moindre dérèglement altère sa capacité à répondre aux infections. Certains lymphocytes, par exemple, s’affaiblissent et deviennent moins efficaces pour sécréter des molécules de défense, comme l’a démontré l’équipe de George Tsokos récemment dans Cell.

Par ailleurs, les maladies autoimmunes affectent souvent plusieurs organes. La présence d’un diabète ou d’atteintes cardiaque, rénale ou pulmonaire aggrave la situation en cas d’infection.

Risque induit par les médicaments

Les médicaments immunosuppresseurs (corticoïdes, cyclophosphamide, méthotrexate…), destinés à calmer le système immunitaire trop agressif, peuvent également limiter la capacité de l’organisme à répondre à une infection.

En effet, ils ne sont pas spécifiques des cellules en cause dans l’autoimmunité et ils interfèrent avec certaines fonctions générales du système immunitaire. Les médicaments de « biothérapie » (anti-TNF alpha, infliximab, adalimumab, étanercept…) semblent poser moins de risques mais sont tout de même associés à des capacités de défense amoindries.

Les associations de médecins recommandent toutefois aux personnes concernées de ne pas interrompre leur traitement sans avis médical. Une exacerbation de la maladie pourrait entraîner un risque de complications accru en cas d’infection par le virus de la COVID-19.

« Compte tenu de la physiopathologie du lupus, nous pensons qu’il est crucial de maintenir la rémission des patients pendant la pandémie », soutient Amr Sawalha, qui publie cette semaine des recommandations de prise en charge dans le European Journal of Rheumatology.

En effet, une poussée non contrôlée de lupus ou de polyarthrite rhumatoïde pourrait conduire le patient à l’hôpital, ce qui n’est guère recommandé en ce moment.

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