Protégés par le rhume?

29 avril 2020
Valérie Borde, Centre Déclic

Q : « J’ai lu que d’autres coronavirus donnent de simples rhumes. Quelqu’un ayant déjà été en contact avec un autre coronavirus que celui causant la COVID-19 est-il moins sujet à faire des complications, voire être immunisé face à cette dernière, ayant déjà combattu ce type de virus? », demande Bernard Lahaie, de Shawinigan.

R : La question que vous posez est celle de l’immunité croisée, qui peut se produire quand une infection par un micro-organisme, ou un vaccin, protège en même temps, au moins partiellement, contre d’autres micro-organismes proches parents du premier. C’est un phénomène très complexe, et pas encore bien compris.

D’abord il faut savoir que tous les rhumes ne sont pas causés par des coronavirus : on connait environ 200 virus différents qui donnent cette maladie ultra courante! Les premiers responsables en sont des rhinovirus, suivis des coronavirus.

Les coronavirus forment une grande famille de virus qui peuvent infecter des mammifères ou des oiseaux. Dans cette famille découverte dans les années 1960, il existe quatre grands genres (alpha, bêta, gamma et delta) qui ont eu des ancêtres différents au fil de l’évolution naturelle de ces virus.

Parmi les sept espèces de coronavirus qui peuvent infecter les humains, deux appartiennent au genre alpha (le 229E et le NL63), et cinq au genre bêta :  trois de ceux-ci donnent des maladies potentiellement graves (le nouveau SARS-Cov-2 qui donne la COVID-19, le SARS-Cov-1 qui était à l’origine de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère de 2003 et le MERS-Cov qui cause le syndrome respiratoire du Moyen-Orient), et les deux derniers, le OC43 et le HKU1, donnent le rhume ordinaire.

« A priori, si une immunité croisée existe pour le SARS-Cov-2, il y a des chances que ce soit avec l’un ou l’autre de ces virus qui sont ses plus proches parents », explique Guy Boivin, professeur-chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les virus en émergence et la résistance aux antiviraux.

On connait assez bien le phénomène de l’immunité croisée que peuvent engendrer différentes souches du virus de l’influenza. C’est ce qui fait en sorte que des personnes déjà infectées par une certaine souche, ou protégée contre celle-ci par un vaccin, vont être moins souvent infectées par une proche parente de la première. Si elles contractent quand même l’infection, elles auront moins de symptômes, car les anticorps développés contre la première souche les protègent en partie. Voilà pourquoi quand la souche d’influenza qui circule n’est pas exactement celle contre laquelle le vaccin annuel a été conçu, tout n’est pas forcément perdu!

On pense qu’une telle immunité croisée pourrait exister pour certains des coronavirus du genre bêta, mais il y a encore eu très peu d’études à ce sujet et aucune n’a encore été conduite sur le SARS-Cov-2. Dans certaines des études passées, on a trouvé que des anticorps produits à la suite d’une infection par le SARS-Cov-1 pouvaient protéger contre le OC43, et que l’inverse pouvait aussi être vrai. Dans une étude publiée cette semaine dans Science à partir de données épidémiologiques sur les infections passées par les virus OC43 et HKU1, des chercheurs ont estimé que l’infection par le premier protège en partie contre celle par le second… mais que c’est moins vrai dans l’autre sens. Ils évoquent la possibilité d’une immunité croisée avec SARS-Cov-2, mais rappellent qu’on n’a encore aucune information à ce sujet.

Pour corser les choses, il est aussi possible que l’immunité croisée soit plus nuisible que bénéfique : on connait des cas, certes rares, où une infection passée avec un virus engendre une réaction plus forte à une nouvelle infection par un autre virus du même genre. Ce phénomène a été bien documenté pour le virus de la dengue, qui peut, lors d’une infection par un second virus légèrement différent du premier, donner naissance à ce phénomène appelé la « facilitation de l’infection par les anticorps », et engendrer une forme beaucoup plus grave de dengue hémorragique.

Malheureusement, il n’est pas exclu que ce phénomène puisse aussi se produire avec certains coronavirus. Cette hypothèse a déjà été émise par des chercheurs qui étudiaient chez des singes un possible vaccin contre le SARS-Cov-1. Dans leur étude, ils avaient observé que certains anticorps que l’on croyait protecteurs avaient plutôt tendance, lors d’une seconde infection, à rendre l’inflammation des poumons beaucoup plus sévère.

Est-ce qu’une personne ayant eu un rhume causé par un coronavirus pourrait ensuite réagir plus sévèrement au SARS-Cov-2? Ou est-ce qu’à l’inverse les rhumes ordinaires que les enfants contractent à répétition (en moyenne 5 à 7 par an!) pourraient expliquer pourquoi ils ont si peu de symptômes de la COVID-19? Toutes ces hypothèses sont actuellement envisagées, et rien n’est certain.

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