25 mars 2020
Fatéma Dodat, Québec Science
Q : « Quels sont les traitements testés contre la COVID-19?
Face à la pandémie qui paralyse la planète, des efforts fleurissent partout pour trouver un traitement permettant au moins de réduire le risque de complications pulmonaires et d’abaisser le taux de mortalité.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient ainsi de lancer SOLIDARITY, qui teste 4 médicaments déjà existants et pourrait inclure des milliers de patients dans plusieurs pays. Un consortium européen débute l’essai DISCOVERY sur plus de 3200 patients qui viendra compléter l’essai SOLIDARITY, tandis qu’une équipe montréalaise coordonne COLCORONA pour tester la colchicine.
Dans l’urgence, les pistes privilégiées sont bien entendu les traitements qui existent déjà. Comme les différents coronavirus ont des similarités génétiques, les chercheurs explorent les traitements qui ont prouvé leur efficacité sur d’autres coronavirus comme ceux responsables des épidémies de SRAS (2003) et de MERS (2012).
Un mot de prudence ici : aucun de ces traitements n’est une solution miracle et il faudra attendre les résultats des essais cliniques avant d’avoir la preuve de l’efficacité et de l’innocuité d’un médicament dans ce nouveau contexte.
Hydroxychloroquine
L’hydroxychloroquine équivaut à la chloroquine à laquelle on ajoute un groupement hydroxyle, ce qui la rend moins toxique et mieux tolérée par l’organisme à dose élevée.
Utilisé à la base contre le paludisme et comme traitement anti-inflammatoire dans la polyarthrite rhumatoïde et le lupus, ce vieux médicament a également des effets antiviraux connus de longue date. Il est analysé par plusieurs études pour évaluer son efficacité contre le virus de la COVID-19.
Pour pénétrer au sein d’une cellule, le coronavirus se lie à un sous-compartiment cellulaire appelé endosome qui doit avoir un pH bas. L’hydroxychloroquine permet d’augmenter le pH de l’endosome, ce qui empêche le virus de pénétrer au sein de la cellule-hôte (et donc d’amorcer son cycle de réplication). Qui plus est, elle semble interférer avec une étape de maturation du récepteur cellulaire du virus, l’ACE2 (la serrure que le virus ouvre afin d’entrer dans la cellule), ce qui diminuerait la liaison du virus au récepteur et donc l’infection. Enfin, elle semble inhiber la production de cytokine, cette molécule inflammatoire qui peut causer de graves symptômes si elle est relâchée en grande quantité dans les poumons.
Les observations cliniques préliminaires sur l’hydroxychloroquine sont porteuses d’espoir et elle fait partie des traitements évalués dans l’essai clinique européen.
Si l’engouement pour la chloroquine s’est propagé comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, il repose toutefois sur des études très préliminaires (notamment in vitro) et il faut rester prudent. L’étude française menée par Didier Raoult, qui a généré un buzz planétaire, est loin de faire consensus (seulement 26 patients, et les cas qui se sont aggravés ont été exclus des calculs statistiques). De plus, l’hydroxychloroquine était utilisée en combinaison avec un antibiotique (l’azithromycine).
Rappelons que la prise de chloroquine ou d’hydroxychloroquine en automédication est dangereuse. Un Américain est mort le 24 mars après avoir ingéré du phosphate de chloroquine (un nettoyant pour aquarium).
Colchicine
La colchicine, initialement extraite d’une plante, le colchique, est toxique à forte dose. À l’origine utilisée comme traitement contre la goutte, elle revient d’actualité dans les recherches anti-inflammatoires et sera testée par l’Institut de cardiologie à Montréal.
La colchicine a la capacité de bloquer l’addition de molécules de tubuline – les constituants de la « colonne vertébrale » d’une cellule – ce qui empêche la cellule de se multiplier. Elle bloque aussi la mobilité et l’activité des neutrophiles, les globules blancs qui arrivent en première ligne pour combattre les cellules infectées et participent aux réactions inflammatoires.
Si la réaction inflammatoire est souvent protectrice, elle peut devenir nocive quand elle est exacerbée, inadaptée ou mal régulée (comme lors de la polyarthrite rhumatoïde par exemple) et il est donc nécessaire de la combattre. Des études suggèrent que de nombreux patients atteints de la COVID-19 développent une réponse inflammatoire trop importante (« une tempête inflammatoire »), qui serait responsable des détresses respiratoires.
En combinant ces observations avec les études scientifiques, l’équipe du Dr Jean-Claude Tardif du Centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal recrute depuis le 23 mars 2020 des patients atteints de la COVID-19 pour mener un essai clinique baptisé COLCORONA et financé par le gouvernement du Québec afin d’évaluer les bénéfices thérapeutiques de la colchicine sur la pandémie actuelle.
Remdesivir
Initialement développé pour traiter Ebola (avec des résultats décevants), ce médicament avait montré des activités antivirales contre les virus du SRAS et du MERS. C’est un promédicament, c’est-à-dire un médicament administré sous forme inactive, qui devient actif une fois qu’il est métabolisé dans l’organisme.
C’est un analogue de nucléotide, c’est-à-dire qu’il ressemble à l’une des lettres composant le code génétique (la lettre A). Il vient donc s’insérer à la place du « vrai » A pendant que la machinerie cellulaire, piratée par le virus, produit des copies de virus à toute allure. Cette substitution permet de ralentir la production virale jusqu’à totalement bloquer la production du virus.
Jusqu’à présent, les études ne montrent pas d’effets secondaires associés à ce composé (bien qu’on manque de données pour établir le profil de sécurité d’emploi) et les essais semblent prometteurs contre le MERS. Des cinq essais cliniques en cours, deux devraient fournir des premiers résultats d’ici avril.
Lopinavir/ritonavir
Le lopinavir est un inhibiteur de protéase développé comme antiviral contre le VIH. Il bloque l’activité des molécules responsables de casser les liaisons qui existent entre les protéines, et en particulier une protéase virale essentielle pour la réplication des coronavirus, la 3CL. Il est utilisé en combinaison avec le ritonavir, un autre inhibiteur de protéase, qui permet de ralentir la dégradation du lopinavir par l’organisme.
Les bénéfices thérapeutiques de l’association lopinavir/ritonavir ont été étudiés sur le virus responsable du MERS: il a été observé que l’activité antivirale semblait plus élevée lorsque l’on combinait le traitement avec un immunomodulateur, l’interféron-bêta.
Les études évaluant le potentiel thérapeutique de l’association lopinavir/ritonavir contre la COVID-19 présentent des résultats controversés jusqu’à présent, une étude montrant des bénéfices thérapeutiques, alors qu’un essai clinique mené en Chine sur 199 patients ne voit aucun effet.
Le lopinavir/ritonavir fait néanmoins partie des 4 traitements évalués dans l’essai clinique européen et dans celui mené par l’OMS en combinaison ou non avec l’interféron bêta.
Et quand les nouveaux traitements?
Des équipes tentent évidemment de mettre la main sur des traitements antiviraux inédits, parfois même à l’aide de l’intelligence artificielle.
Cependant, on ne peut pas développer un nouveau traitement en un mois. Il faut comprendre la biologie du virus, vérifier l’efficacité du traitement, d’abord sur l’animal puis chez l’humain, établir une dose qui ne soit pas toxique, en plus d’obtenir des feux verts des différentes autorités de santé – ce qui peut être long, même si des raccourcis sont envisagés.
Voici les étapes classiques avant l’approbation d’un médicament dans un contexte normal, donc hors crise pandémique requérant la mobilisation internationale et les raccourcis extraordinaires. Nous parlons ici d’un médicament déjà « découvert », parfois après que les chercheurs ont testé des milliers de composés pour identifier le plus prometteur, qu’ils l’ont évalué ensuite sur des cultures de tissus et des animaux.
Pour développer un essai clinique, les scientifiques doivent faire valider leur protocole d’essai au comité institutionnel approprié (Santé Canada ici, FDA aux États-Unis) et bravent 4 phases principales de recherche avant de mettre leur médicament sur le marché :
- Phase 1: le médicament est testé à différentes doses sur un petit échantillon d’individus (20 à 80) en bonne santé pour tester la sûreté et la tolérance. Les chercheurs établissent ainsi la dose la plus sûre qui permet d’obtenir un effet désiré et collectent les premières données sur les effets secondaires ressentis par les participants. Dans le cas de médicaments déjà commercialisés pour d’autres maladies, cette étape n’est pas nécessaire.
- Phase 2: l’efficacité du médicament est étudiée avec les mêmes doses que lors de la phase I mais cette fois sur des patients atteints de la maladie et sans autre problème de santé (100 patients en général). Cette étape permet également de définir la dose optimale.
- Phase 3 : l’effet du médicament est testé dans une population plus grande et hétérogène, et parfois à différents endroits. On compare également le médicament avec des médicaments déjà existants ou un placebo (sans efficacité propre mais agissant sur le patient au niveau psychologique ou physiologique). Au Canada, si l’innocuité et l’efficacité du médicament sont démontrées à ce stade, les chercheurs peuvent alors déposer une demande auprès de Santé Canada pour obtenir l’autorisation de commercialisation du produit.
Toutes ces étapes, du début du développement du médicament à l’autorisation de mise sur le marché, peuvent parfois prendre 10 ans.
- Phase 4 : cette phase survient après autorisation du médicament sur le marché et sert à recueillir des renseignements supplémentaires sur les risques (et avantages) potentiels qui surviennent sur la prise à long terme du médicament. Il faut souligner que certains médicaments ont déjà été retirés du marché après la phase 3 lorsque des effets indésirables graves étaient observés en phase 4, comme pour le Zantac retiré des ventes libres aux États-Unis et au Canada en 2019.
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