Une « sélection naturelle » à cause de la COVID-19?

28 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Examen d'un échantillon au microscope

Q : « Ma question va peut-être choquer, mais je crois qu’elle doit quand même être posée : est-ce que les pandémies comme celle de la COVID-19 ne sont pas un des moyens que la vie a pour faire de la « sélection naturelle » et ne garder que les individus les plus résistants? » demande Roger Bergeron, Québec.

R : La « sélection naturelle » est ce phénomène par lequel les spécimens les moins bien adaptés de chaque espèce ont moins de chance de survivre que les autres, et vont donc moins se reproduire et moins passer leurs gènes aux générations suivantes. À long terme, seuls les gènes les mieux adaptés persistent — c’est de cette manière que les espèces évoluent.

De manière générale, les épidémies peuvent effectivement avoir ce genre d’effet. Le plus «bel» exemple est sans doute celui de la Peste noire, qui a fauché près de la moitié de la population d’Europe au XIVe siècle. Dans sa forme bubonique (de bubon, soit des « bosses » qui se formaient sur la peau), elle tuait autour de 50 % des gens atteints; et lorsque la bactérie en cause, Yersinia pestis, atteignait les poumons, la mortalité atteignait presque 100 %.

Alors cela a causé ce que les biologistes appellent une « pression de sélection » : avoir les « bons gènes », qui augmentaient les chances de résister à Yersinia pestis pouvait faire une grosse différence de survie — et éventuellement de reproduction. Au moins deux études ont trouvé des signes que la Peste noire a exercé une telle pression au Moyen Âge. L’une est parue en 2014 dans la revue savante PLoS – One et a trouvé en examinant l’âge au décès dans des cimetières anglais qu’après la première vague de peste (vers 1350), les taux de décès chez les adultes étaient moindres qu’avant, et ce à tous les âges, comme si la peste avait éliminé certaines vulnérabilités générales aux infections. Une autre, publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, a pour sa part trouvé des « traces » du passage de la peste dans le génome des populations d’Europe — certaines versions de gènes y sont plus fréquents que dans d’autres régions du monde, qui n’ont pas été touchées par cette maladie.

Cela dit, cependant, ce n’est pas parce que la peste a eu un tel effet que la COVID-19 en aura forcément un elle aussi. Ce sera peut-être le cas — des études futures le confirmeront ou l’infirmeront —, mais il y a quand même certaines caractéristiques du coronavirus qui donnent à penser qu’il ne provoquera pas de sélection naturelle. D’abord, son taux de mortalité est beaucoup, beaucoup plus faible que celui de la peste, se situant quelque part entre 0,1 et 1 % de ce qu’on en sait jusqu’ici. Alors si « pression de sélection » il y a, elle ne peut pas être forte.

Ensuite, et c’est un point fondamental au regard de la sélection naturelle, la plupart des victimes de la COVID-19 sont des gens âgés. D’après les dernières données de la santé publique, 91 % des décès au Québec sont survenus chez les 70 ans et plus, c’est-à-dire chez des gens qui ont déjà eu leurs enfants (c’est même 99 % si on inclut aussi les 50-69 ans). Alors par définition, une maladie qui emporte des gens qui ont déjà passé leurs gènes à la génération suivante ne peut pas les empêcher de se reproduire, et elle ne peut donc pas vraiment participer à la sélection naturelle.

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