Quand le vaccin arrivera, sera-t-il déjà « périmé »?

3 avril 2020
Jean-François Cliche, Le Soleil

Vaccination, Impfspritze, Médicaux

Q : « Comme le virus se reproduit avec grand succès à travers le monde, il doit nécessairement changer quelque peu par mutation au fil du temps. Se pourrait-il qu’une forme encore plus agressive apparaisse? Si oui, est-ce qu’un vaccin découvert pour combattre le virus serait toujours efficace contre cette forme mutée? », demande Pierre Hudon, de Knowlton.

R : Effectivement, tous les virus « mutent », c’est-à-dire que d’une génération à l’autre, leur matériel génétique change petit à petit, ce qui va modifier les protéines à leur surface. Comme les anticorps que notre système immunitaire « apprend » à fabriquer visent justement ces protéines-là, ils deviennent inefficaces si le virus mute trop.

À ce petit jeu, certains virus sont plus rapides que d’autres : une étude parue en 2010 dans le Journal of Virology a trouvé des taux de mutation variant par un facteur de 10 000 d’un type de virus à l’autre. Mais il n’y a pas que le taux de mutation qui compte : les protéines de certains virus deviennent facilement « dysfonctionnelles » à la moindre mutation alors que d’autres virus se montrent plus « tolérants » aux mutations. La variole, par exemple, mute à un rythme environ deux fois supérieur à l’influenza [voir le tableau 3], mais elle tolère beaucoup moins bien ces mutations, qui la rendent incapable d’infecter des cellules. En bout de ligne, c’est donc toujours la même « version » de la variole qui perdure, et c’est pourquoi le vaccin contre la variole reste efficace pendant toute la vie [voir article du Science Daily] contrairement à celui contre la grippe, qui doit être renouvelé annuellement.

En ce qui concerne le virus de la COVID-19, ce qu’on sait pour l’instant est qu’il est un « virus à ARN » (l’ARN est une forme de matériel génétique moins stable que l’ADN), indique Dr Guy Boivin, de la Chaire de recherche sur les virus émergents de l’Université Laval, ce qui signifie qu’il mute rapidement. Ce qui n’est évidemment pas une bonne nouvelle.

Mais d’un autre côté, ajoute son collègue de l’UQAC, le virologue Tarek Bouhali, « certaines cellules, comme celles des humains, sont munies d’une sorte de « système de révision » qui fait des corrections quand des erreurs sont commises lors de la copie du matériel génétique [ndlr : ce qui prévient les mutations jusqu’à un certain point]. Et le virus de la COVID-19 possède lui aussi cette capacité-là. C’est pour ça qu’on pense qu’il ne change pas beaucoup. Ça reste seulement une hypothèse pour l’instant parce que ce virus-là, on est encore en train de le découvrir. Mais jusqu’à maintenant, on n’a pas trouvé des grosses différences entre les souches du virus en Chine et celles qui circulent ailleurs dans le monde ».

Voilà qui est plutôt encourageant. On ignore toutefois si la COVID-19 est un virus dont les protéines peuvent rester fonctionnelles malgré un certain degré de mutation, indique M. Bouhali. « Nous sommes en train d’apprendre », résume-t-il.

En outre, ajoute-t-il, il reste une autre inconnue dans tout ceci. « En ce moment, nous sommes presque tous « naïfs » face à ce virus [ndlr : très peu de gens ont une immunité]. Mais à mesure que des gens seront infectés et auront des anticorps, ils vont développer une immunité, et un éventuel vaccin aura le même genre d’effet. À partir du moment où il y aura une immunité populationnelle, peut-être qu’il y aura une sélection naturelle qui va s’exercer sur le virus. »

Voilà qui, dit M. Bouhali, pourra faire évoluer le virus. À l’heure actuelle, la COVID-19 peut nous infecter facilement puisque très peu de gens sont immunisés. Il a donc moins besoin d’avoir des caractéristiques particulières pour se reproduire, ce qui signifie que la pression de sélection est faible. Mais une sélection plus intense pourra éventuellement le faire changer.

Reste à voir si cela arrivera — et si tel est le cas, comment cela le fera évoluer.

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