16 avril 2020
Valérie Borde, Centre Déclic
Plusieurs études ont été publiées depuis que nous avons répondu à vos questions sur la possibilité d’attraper le virus dans l’air. Voici donc une mise à jour.
Dans un précédent article, nous avions expliqué que la COVID-19 se transmet avant tout par les sécrétions des gens malades, ce qui reste vrai. Une quinte de toux ou un éternuement expulse dans l’air des particules contenant plus ou moins de virus, selon là où celui-ci s’est logé dans le système respiratoire de la personne infectée. Les « grosses » particules, de plus de 10 micromètres de diamètre, tombent rapidement au sol ou sur les objets environnants sous l’effet de la gravité. Dans ces gouttelettes, le virus trouve les conditions d’humidité qu’il aime et peut rester infectieux, au moins un certain temps.
Un éternuement ou une quinte de toux aurait cependant, selon certains chercheurs, la possibilité de transmettre des particules jusqu’à une distance de 8 mètres. Leurs études et leurs vidéos spectaculaires d’éternuements ne disent toutefois pas si ces particules peuvent transmettre un virus infectieux à cette distance. Dans le doute, tousser ou éternuer dans son coude est définitivement une bonne précaution à prendre.
On sait que les virus peuvent aussi former des aérosols composés de plus petites particules restant en suspension dans l’air, pouvant voyager sur de grandes distances, sans pour autant être nécessairement infectieux. Les premières études sur la COVID-19 laissaient penser que cette maladie était presque exclusivement transmise par les gouttelettes plus grosses, comme nous l’avions rapporté. Mais depuis, plusieurs chercheurs ont émis des doutes, au vu de nouvelles études, et croient que la transmission par des aérosols doit être sérieusement envisagée.
Plusieurs équipes ont ainsi trouvé des traces de l’ARN du virus dans l’air dans les chambres d’hôpitaux de malades de la COVID-19, à des distances laissant penser qu’il aurait pu être aéroporté. Une étude menée au Nebraska (qui n’a pas été révisée par les pairs, donc dont les conclusions sont provisoires), a par exemple détecté l’ARN dans les deux tiers des échantillons d’air pris dans les chambres de malades. Une autre étude menée dans une unité de soins intensifs en Chine a conclu que le virus pouvait se retrouver dans l’air à 4 mètres des patients. Cependant, même dans cet environnement où la charge virale est très importante, la majeure partie des échantillons d’air collectés ne contenait pas de trace du virus (même entre les lits des soins intensifs, l’ARN du virus était absent de 60 % des échantillons d’air prélevés).
Une troisième étude, menée dans des hôpitaux de Wuhan, et également non revue par les pairs, laisse entendre que des aérosols pourraient aussi se former à partir des selles des patients infectés, après leur passage aux toilettes, voire à partir des tenues de protection du personnel médical.
Seuls les chercheurs du Nebraska ont ensuite vérifié si ces aérosols avaient le pouvoir d’être infectieux. Pour cela, ils ont placé les échantillons d’air infecté au contact de cultures de cellules appelées Vero E6, utilisées fréquemment pour tester la réplication de divers virus. Or ils n’ont trouvé aucune trace d’activité virale dans tous les échantillons testés, ce qui est plutôt rassurant.
Une autre étude publiée en février avait montré que dans des conditions expérimentales, un aérosol contenant de grandes quantités de SARS-Cov-2 pouvait rester infectieux pendant trois heures. Les chercheurs en avaient conclu que la transmission par aérosols était « plausible », ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’elle soit attestée ou fréquente.
Tout dépend en effet de plusieurs choses qu’on ne connait pas à ce jour :
– quelle quantité de virus actifs (pas juste de l’ARN) peut être transmise sous forme d’aérosols par des personnes infectées, symptomatiques et asymptomatiques?
– quelle est la « dose » minimale de virus aéroporté qui doit entrer en contact avec le système respiratoire pour devenir infecté?
– en combien de temps peut-on « attraper » cette dose de virus au contact d’un aérosol potentiellement infectieux?
– comment les conditions d’humidité, de température et de circulation de l’air qui règnent en différents lieux (dans un hôpital, un domicile ou un lieu public, par exemple) influencent-elles la capacité d’un aérosol qui serait infectieux à le rester?
Pour les autres maladies infectieuses respiratoires telles que l’influenza, ces questions ne sont pas non plus tranchées, et la recherche est encore en cours.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère toujours qu’il n’y pas de preuve solide que le coronavirus infectieux aéroporté représente un risque significatif en dehors du contexte très particulier de procédures médicales invasives, comme une intubation.
Un groupe d’experts de la National Academy of Sciences américaine suggère, lui, de considérer sur la base des études actuelles que la respiration normale peut dégager des aérosols contenant l’ARN du virus – sans pour autant se prononcer sur le danger que cela représente.
Dans un éditorial de la revue Aerosol Science and Technology paru début avril, un groupe de chercheurs appelle la communauté scientifique à multiplier les études pour mieux comprendre ce possible mode de propagation du virus.
L’idée que le virus puisse être aéroporté sous une forme infectieuse a de quoi inquiéter et doit être prise au sérieux. Mais il va falloir des preuves plus solides, et un certain consensus scientifique, avant que l’on modifie éventuellement la stratégie de lutte à la COVID-19, advenant que ce mode de propagation soit plus important qu’anticipé.
Entre temps, certains experts interviewés dans la revue Nature conseillent d’accroître la ventilation dans les lieux fréquentés. D’autres suggèrent de généraliser le port du masque chirurgical si les approvisionnements ne sont plus à risque… même si on n’a pas la preuve qu’il bloque les aérosols de SARS-Cov-2.
Crainte exagérée ou précaution sensée? Personne ne le sait, et on n’a pas le choix de vivre avec cette incertitude. La seule chose dont on peut être raisonnablement certain, c’est que si le virus était ultra infectieux par voie aéroportée, on le saurait déjà. On aurait probablement trouvé beaucoup plus de cas dans les avions ayant transporté des gens contagieux, ou dans les lieux restés fréquentés comme les supermarchés.
Compte tenu de la circulation de l’air en extérieur, on peut aussi être certain qu’il est hautement improbable d’attraper le virus dehors, tant que l’on reste à deux mètres des autres, même si on croise à l’occasion des gens de plus près pour quelques instants.
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