Les enfants transmettent-ils la COVID-19?

5 mai 2020
Valérie Borde, Le Soleil

Rangée d'étudiants élémentaires multiethniques, lecture de livre dans la salle de classe. images de style effet vintage.

Q : « Il y a eu une étude sur un enfant testé positif à la COVID-19 en France qui n’aurait pas transmis le virus. Sachant qu’une étude, qui ne comprend qu’un seul cas, n’a pas grande valeur dans une prise de décision, et que l’on se demande comment gérer la réouverture des garderies et des écoles, est-ce que certains scientifiques ont signifié un intérêt pour réaliser une étude plus étoffée à ce propos? », demande Annie-Claude Lessard, de Québec.

L’étude dont vous parlez émane d’un traçage des contacts d’un groupe de gens ayant été infectés à partir d’un cas unique. C’est ce que les épidémiologistes appellent un « cluster »  (que l’Office québécois de la langue française (OQLF) traduit par « grappe ») formé à partir d’un « cas index ».

Un adulte infecté à Singapour a ramené le virus dans un chalet dans les Alpes où il y séjourné avec 15 personnes, dont trois enfants d’une même fratrie. Douze des 15 personnes ont été contaminées, dont un seul des enfants. Celui-ci avait une charge virale très faible au moment du test, réalisé 8 jours après le début des symptômes. Difficile de savoir si ses symptômes étaient dus au SARS-Cov-2 puisqu’il était, au même moment, porteur du virus de l’influenza et d’un picornavirus (une famille de virus qui comprend certaines espèces donnant des rhumes). Pendant qu’il était symptomatique, cet enfant a fréquenté trois écoles et un club de ski, où il a été en contact avec 102 personnes, dont 55 ont été testées. Parmi celles-ci, le virus de l’influenza a été trouvé 17 fois, le picornavirus 6 fois. Le SARS-Cov-2 n’a pas été détecté, et aucun nouveau cas n’a été repéré dans les 14 jours suivants. Selon les chercheurs, cette analyse suggère que les enfants transmettraient peu le coronavirus.

Jay Kaufman, professeur au Département d’épidémiologie et biostatistiques de l’Université McGill,  surveille étroitement la littérature scientifique à ce sujet. Il partage la même opinion. « La preuve la plus convaincante tient à la faible fréquence à laquelle on a retrouvé de jeunes enfants dans les chaines de transmission estimées par le traçage des contacts », explique-t-il. Pour l’instant, les principales enquêtes de ce type ont été menées en Chine, en Corée et à Singapour. Dans une prépublication (non revue par les pairs), des chercheurs australiens ont retracé 31 enquêtes de grappes familiales menées en Chine, à Singapour, en Corée, au Vietnam et aux États-Unis. Seules 3 avaient comme cas index un enfant. « Cela contraste avec ce qu’on observe avec d’autres virus comme l’influenza », indique Jay Kaufman.

Pour ce qui est de la transmission du virus à l’école, une analyse publiée il y a quelques jours par le National Centre for Immunisation Research and Surveillance de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, semble aussi rassurante. Les autorités ont documenté tous les cas de personnes chez qui le SARS-Cov-2 a été détecté et qui ont fréquenté une école primaire ou secondaire à un moment où elles ont pu être contagieuses. Ils ont retracé 18 personnes infectées (8 élèves du secondaire, 1 du primaire et 9 adultes enseignants ou membres du personnel) dans un total de 15 écoles (5 primaires et 10 secondaires), fréquentées par un total de 735 élèves et 128 employés. Un tiers de toutes ces personnes a été testé. Résultat : seules deux personnes ont été contaminées par les 18 cas index : un enfant du primaire qui pourrait avoir été infecté par un enseignant, et un jeune du secondaire qui pourrait avoir été infecté par un autre jeune de la même école.

À l’opposé, une analyse provenant d’Allemagne, qui n’a pas encore été publiée dans une revue savante, suggère que les enfants sont peut-être tout aussi contagieux que les adultes.

Réalisée par le virologue Christian Drosten, un des spécialistes bien en vue dans ce pays, cette étude a porté sur 3712 cas positifs identifiés à Berlin, dont 127 jeunes de moins de 20 ans, parmi lesquels figuraient à la fois des gens symptomatiques et asymptomatiques. Les chercheurs n’ont pas procédé à du traçage de cas, mais ont regardé la charge virale détectée dans le nez par les tests d’ARN. Ils ont catégorisé les cas selon six groupes d’âge correspondant, pour les jeunes, aux différents niveaux scolaires : 0-6 ans, 7-11 ans, 12-19 ans, 20-25 ans, 26-45 ans et 46 ans et plus. Or dans chacune de ces catégories, ils ont trouvé à peu près la même charge virale, signe que les jeunes ont potentiellement la même quantité de virus à transmettre que les plus vieux.

Selon ces chercheurs, il est évident que les enfants, qui ont souvent peu ou pas de symptômes, ont été jusqu’à présent largement sous-diagnostiqués. Certes, il est possible qu’ils transmettent moins la maladie parce qu’ils émettent moins de gouttelettes contaminées, s’ils ne toussent pas. Mais il est aussi possible, disent les chercheurs, que la faible contagiosité observée par les enquêtes épidémiologiques soit, en Europe du moins, liée à la conjoncture : les premiers cas de COVID-19 ont été rapportés surtout par des adultes revenant de voyage, puis les écoles ont rapidement fermé, laissant peu de possibilités pour que des enfants deviennent des cas index. Ils en concluent qu’il serait imprudent de procéder à une réouverture illimitée des écoles au vu des connaissances actuelles – ce qui n’est d’ailleurs pas envisagé ni en Allemagne, ni au Québec.

Jay Kaufman, lui, croit que les jeunes enfants ne sont pas des contributeurs majeurs au fardeau de l’épidémie de COVID-19 et qu’ils ne devraient pas être privés d’école plus longtemps. C’est aussi l’avis de l’Association des pédiatres du Québec, qui soutient la réouverture graduelle des écoles avant la fin de cette année scolaire, la déscolarisation étant très dommageable pour nombre d’enfants.

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